lundi 11 avril 2011

"LE CONQUERANT DE L'IMPOSSIBLE"





Cette biographie de Cortés (1485 – 1547), LE CONQUÉRANT DE L’IMPOSSIBLE, se lit passionnément comme un roman, parce que, osons l’horrible cliché, la vie de Cortés est un roman ! Un roman noir néanmoins puisque la vie de Cortés conduit à la mort d’un empire et d’une civilisation, échéance fatale qui n’apparaît pas trop à la lecture de ce livre. A l’évidence, M. Bennassar aime Cortés, il cherche à saisir les mille facettes et contradictions apparentes de ce «personnage improbable » (titre de l’introduction); il est fasciné par cet « architecte du futur » (titre d’un des chapitres), son charisme, son génie manipulateur, ses dons d’organisateur et son dynamisme créateur, son ambition insatiable, ses amours ; il est touché par ses déboires, ses doutes, ses erreurs et ses échecs. En tout cas, le livre a le mérite, un, de ne pas se focaliser sur la campagne de conquête des années 1519 – 1521 qui voient la chute de l’empire Mexica sous les coups de l’armée du conquistador et de ses alliés indiens et, deux, d’aller bien au-delà de la facile description du reître cruel, cupide et cynique, sans tomber non plus dans la recherche nostalgique d’un autre Alexandre Le Grand. En outre, un très grand intérêt du livre réside, à travers les aléas de la vie du conquérant, dans la description de l’organisation politique, économique et sociale qui s’amorce dans la Nouvelle Espagne.


Le livre commence par une sorte de préambule intitulé LE MONDE D’HERNAN CORTÉS, qui répertorie les principaux personnages apparaissant dans le livre, en distinguant : (1) La famille, (2) Les compagnons de la conquête, (3) Rivaux et adversaires [sous-entendu espagnols], (3) Les hommes du roi, (4) Les religieux, et en dernier (5) Les Indiens. Pour ces derniers, huit noms sont donnés. Le monde indien : huit petits noms parmi lesquels celui de Malintzin alias La Malinche, l’interprète et l’amante, qui fut toujours loyale aux Espagnols.


La biographie est composée ensuite de trois parties.


La première partie traite du CONQUÉRANT avec cinq grands chapitres : (1) Hernan Cortés sort de l’ombre. (2) La moitié obscure d’une vie. (3) Cortés et l’armée de conquête. (4) Entre deux mondes, Cortés architecte du futur. (5) La longue marche, Aux limites de la conquête.


La deuxième partie va DU TROMPHE AU DÉSENCHANTEMENT et comporte aussi cinq grands chapitres : (6) Le nœud de vipères et le magicien. (7) Éblouir l’Espagne. (8) Une vie de seigneur. (9) Les rêves de la mer du Sud. (10) Une très longue attente.


La troisième partie trace, en profondeur, des ESQUISSES POUR UN PORTRAIT avec toujours cinq grandes parties : (11) Un personnage charismatique. (12) L’homme couvert de femmes. (13)Cortés et les Indiens, Sous le regard de l’autre. (14) Cortés, le pouvoir et la richesse. (15) Un homme de légendes.


Enfin, la conclusion est plutôt provocatrice car sous une question se cache sans doute une affirmation : UN MODELE CORTÉSIEN ?


La chronologie est dite sommaire dans la table des matières, elle est en fait suffisante, lisible et bien faite pour le commun des mortels qui maîtrise peu l’époque en question.


Ouvrage à lire par conséquent, puisque de toute façon, pour nous autres, passionnés de culture et d’histoire Mexica, il vaut mieux bien connaître l’ennemi par qui le scandale de la destruction est arrivé. Mais quel sentiment d’amertume tirons nous de la lecture de certaines pages : certes, la catastrophe démographique du fait notamment des épidémies a été imprévisible ; certes, la réduction au statut d’esclaves de nombreux Indiens et la peine du marquage au fer étaient des usages de l’époque ; certes, la conquête peut s’expliquer parce que le monde indien était « divisé contre lui-même » en raison notamment du ressentiment et de la peur engendrés par le système impérialiste aztèque ; certes, il faudrait voir dans les cruautés des conquistadors nulle hypocrisie car ils étaient portés par leur foi chrétienne et le désir d’évangélisation ; certes, Cortés n’aurait pas souhaité détruire la fabuleuse Tenochtitlan et il aurait également déploré le sort du dernier tlatoani Cuauhtémoc, mort ignominieusement pendu. Certes, certes…………

"L'EMPIRE AZTEQUE, impérialisme militaire et terrorisme d'État"






Pour parler de ce livre de Paul Hosotte, L’Empire Aztèque, Impérialisme militaire et terrorisme d’État (Éditions Economica, Paris 2001), je commencerai par une critique publiée sur le site Amazon.fr par un certain Stéphane Pares et qui « campe » bien le sujet : « L'ouvrage de Paul Hosotte est terrifiant à plus d'un titre. Cette étude qui pourrait être assimilée à une banale histoire des Aztèques est en réalité bien plus que cela. S'appuyant sur de solides connaissances mêlant histoire, anthropologie, mythologie et psychologie, l'auteur révèle que la civilisation tombée sous les coups des conquistadors en 1521 s'apparentait à un véritable régime de terreur qu'il n'hésite pas à comparer aux systèmes totalitaires du XXe siècle. Fondé au XIVe siècle par Tlacaelel, souverain (sic)[1]1 doté d'un sombre génie, l'empire aztèque reposait sur un dispositif alliant la peur et la guerre afin de contrôler les populations dominées. Au centre de ce dispositif, la pratique du sacrifice humain devenue quotidienne et publique, justifiée par la croyance en une survie du Soleil nécessitant l'offrande de cœurs et de sang d'hommes. Si les descriptions de ce terrorisme d'État font frémir, l'ouvrage peut se lire également comme un véritable traité de sociologie politique sur le pouvoir et les moyens de le conserver. Une réflexion passionnante. » (Stéphane Pares sur le site Amazon.fr)
Je continuerai par la citation mise en exergue à la première page précédant l’introduction du livre de P. Hosotte et tirée du livre 1984 de George Orwell : « Comment un homme assure-t-il son pouvoir sur un autre ? En le faisant souffrir. Le pouvoir est d’infliger des souffrances et des humiliations. Dans ce monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. »
La référence à 1984 est excellente et la citation appropriée avec son cortège de « pouvoir, souffrance, humiliation, crainte, rage et triomphe » puisque P. Hosotte fait la description d’une véritable dystopie, mais non imaginaire, où l’on trouve tous les ingrédients du régime totalitaire : la réécriture de l’histoire, la guerre nécessaire et incessante, la terreur des vaincus par le sacrifice humain, l’adhésion de la société à l’idéologie par le contrôle de cette société, son endoctrinement, les interdits et la répression.
La cheville ouvrière de la conception, de la mise en œuvre et du développement de ce système impérialiste et terroriste aurait été, selon P. Hosotte, un seul homme extraordinaire : Tlacaelel cihuacoatl, littéralement « Serpent – Femme » c’est-à-dire conseiller suprême de quatre, voire cinq, souverains aztèques : Itzcoatl, Motecuhzoma, Axayacatl, Tizoc et sans doute Ahuitzol, sur plus de 60 ans.
Le livre nous montre comment par l’intelligence et l’influence de cet individu, à partir de la période où le peuple aztèque se dégage de la tutelle des Tépanèques d’Azcapotzalco et où la Triple Alliance se met en place, ce même peuple a su créer un empire puissant et structuré fondé « sur l’emploi systématique de la terreur comme instrument de domination. » (Extrait tiré de l’introduction page 4)
La première partie est consacrée à « L’histoire imaginée », le long et laborieux processus qui conduit la horde « misérable et loqueteuse » de l’île mythique d’Atlan jusqu’aux marécages du lac de la vallée centrale, la difficile gestation dans un environnement hostile entouré d’ennemis qui débouche par l’affirmation fière et belliqueuse du peuple élu qui se place sous la protection du « Colibri de la Gauche », dieu de la guerre, Huitzilopochtli : le désert purificateur (chapitre 1), le choc de la civilisation (chapitre 2), la Terre Promise (chapitre 3) et les Seigneurs des Roseaux (chapitre 4).
La deuxième partie est l’épine dorsale de l’étude puisqu’il s’agit de l’édification du régime totalitaire aztèque sous l’égide de Tlacaelel, le « Grand Architecte » (titre de cette partie) avec ses caractéristiques cités plus haut : la prise du pouvoir (chapitre 1), l’Histoire et le dogme au service du Pouvoir (chapitre 2), la Guerre (chapitre 3), le sacrifice humain (chapitre 4) et le Grand Architecte (chapitre 5).
Une troisième et dernière partie, intitulée « L’histoire idéologisée », décrit l’emprise hégémonique des adeptes du dieu Huitzilopochtli sur des centaines de cités, le prélèvement sans compter des ressources sur les nations vaincues et exsangues, les dépenses en monuments splendides, en fêtes fastueuses et en cérémonies sanglantes, la course sans fin à l’extension des terres soumises pour assurer le fonctionnement du système et les sacrifices toujours plus nombreux de victimes parfois innombrables « prétendument immolées afin d’assurer la survie du Soleil » (page 275) alors que le but premier serait de « tenir les populations sous le joug d’une terreur à peine imaginable » (page 267), pour finir un régime fragilisé par les propres éléments qui font sa grandeur et qui finira par se désagréger rapidement avec l’arrivée des Espagnols.
Voici donc dans cette troisième partie le règne de Motecuhzoma 1er (chapitre 1 : la Gloire de l’Empire) où s’affirme la puissance aztèque et se consolide sa légitimité par les campagnes guerrières s’achevant par des sacrifices de masse ; le règne d’Axayacatl, (chapitre 2 : la Première éclipse du Soleil), marqué par des guerres victorieuses et l’annexion de la ville jumelle de Tlatelolco mais également par une expédition désastreuse contre les Tarasques ; le règne de Tizoc (chapitre 3 : , le mauvais roi) souverain qui ne cherche pas suffisamment à combattre pour le bien, gloire, extension et richesse, de l’empire ; le règne d’Ahuitzol, règne passionné et passionnant de ce souverain cruel et fastueux, qui constituerait l’apothéose de Tlacaelel, alors très vieux cihuacoatl, (chapitre 4 : l’apothéose de Tlacaelel) et qui meurt peut être en 1498. Le chapitre 5 décrit l’apogée de l’empire sans Tlacaelel, sous Motecuhzoma Xocoyotzin (le Montezuma de Cortés), puis les signes annonciateurs de la chute, et le désastre final, en fait la Mort du Cinquième Soleil, titre de ce chapitre.
Un tel ouvrage appelle de nombreuses interrogations. Pour ma part, j’en retiens seulement quelques unes pour que le lecteur ne perde pas trop de temps et aille vite lire le livre.
Ainsi, il peut y avoir débat sur l’existence même de Tlacaelel puisque des historiens et écrivains des 16è et 17è siècles ne mentionnent pas le personnage et que l’historien franciscain Juan de Torquemada nie son existence. P. Hosotte n’écarte pas la question pour mieux démontrer dans le chapitre 1 « la prise du pouvoir » de la deuxième partie que « la réalité [de Tlacaelel] nous semble ne pouvoir faire aucun doute ».
Par ailleurs, son existence étant admise, se pose la question de « l’influence réelle de ce personnage clé de l’histoire du peuple aztèque ». Il ressort du livre qu’en définitive l’empire c’est lui : il règne en sous main, réécrit l’histoire, forge le dogme, façonne la société avec ses tabous, ses interdits, ses privilèges, étend la puissance aztèque sur le monde par les guerres et les sacrifices. Et cependant, il est difficile de dire que des souverains comme Motecuhzoma 1er, Axayacatl, ou Ahuitzol, étaient des personnes falotes et influençables dans les mains du cihuacoatl. En fait, même si la réponse est difficile à trouver dans la complexité et la subtilité des pouvoirs et des interrelations du tlahtoani (« celui qui parle » c’est-à-dire le souverain) et du cihuacoatl, on comprend bien qu'ont prévalu sur des décennies une extraordinaire confiance et complicité, une efficace complémentarité dans le partage des rôles dévolus aux deux principaux personnages de l’État aztèque, un subtil et intelligent équilibre dans la qualité du conseil et de l’écoute. Des rapports fascinants dont l’on trouve difficilement trace dans l’histoire (Suger et Louis VI ? Richelieu et Louis XIII ? C’est difficile de comparer en fait) et je citerai, pour terminer sur cette question, le chroniqueur Chimalpahin Quauhtlehuanitzin (1579-1660 ?).
« C’est pourquoi, moi, Don Domingo de San Antón Muñón Quauhtlehuanitzin, ici, je confirme, ainsi, la mort de la princesse Doña Marina, car je sais très bien qu’elle était l’une des descendantes, des rejetons, du noble lignage, dit-on, de celui d’âge avancé, qui fut le très redouté Cihuacoatl, Tlacayeleltzin l’Ancien, Grand Seigneur de Tenochtitlan, qui vient gouverner auprès d’eux, qui vint aider les cinq anciens Souverains de Tenochtitlan : Itzcohuatl, Moteuhçoma Ylhuicamina, Axayacatl, Tiçoc et Ahuitzotl ; il vint agir pour eux, il vint les aider dans tout ce qu’ils entreprenaient, le dit Commandant en chef, Capitaine général, le Cihuacoatl, Tlacayelel l’Ancien, comme il ressort de toutes les actions susdites, qu’il daigna accomplir, durant le règne des dits Souverains de Tenochtitlan. »[2]
Autre question : pourquoi l’étude a-t-elle laissé de côté, hormis quelques allusions, un trait essentiel du système d’exploitation et d’oppression de l’empire aztèque, à savoir le tribut et sa perception. On sait bien que l’éminent Jacques Soustelle, porté par son amour du monde aztèque, avait beaucoup minimisé l’importance du tribut, sur les plans tant matériel que moral, (voir les quelques pages qui y sont consacrées, pages 143 – 146, dans La vie quotidienne chez les Aztèques, Éditions Le Livre de Poche, Hachette, Paris 1955), mais plus de 50 ans après, on sait mieux combien le tribut a été conçu et organisé comme instrument de l’impérialisme et de sujétion de l’État aztèque. Sur ce point, en laissant de grandes études universitaires de côté, je me référerai de façon plus vulgaire à L’Atlas historique de la Méso-Amérique, dans le chapitre 7 consacré aux Aztèques (Edition originale publiée par Thalamus Publishing, Éditions Saint-André des Arts, Paris 2002), où, aux pages 168 et 169, il est montré de manière concise mais éclairante, que par le système du tribut, sur « les États assujettis, des menaces physiques et psychologiques assurent la loyauté ». Un chapitre sur ce point aurait bien été nécessaire et l’on regrette ici une « impasse » dans un livre que l’on conseille néanmoins.
Dernière question : on peut aussi se demander si le monde aztèque était à ce point déshumanisé, cruel et violent, que ce que décrit P. Hosotte. N’étant ni spécialiste, ni anthropologue, ni ethnologue, ni, ni, etc., je ne m’avancerai pas à répondre. Le rire, le chant, la danse, la poésie, les fêtes de familles ou de quartiers, l’humour, les jeux d’enfants, les jeux d’adultes, le goût du plaisir, l’art de bien faire, le goût de créer, le respect de l’autre, voire le respect de l’ennemi, etc., sont autant de traits humains qui ont pourtant également prévalu si l’on se fonde sur les témoignages, l’archéologie, les textes divers et variés, les études savantes…En définitive, j’espère ne pas chercher en vain quelques rayons lumineux dans ce monde du Cinquième Soleil, mais il est vrai que le terrifiant mais passionnant ouvrage de P . Hosotte porte bien son titre.

[1] Erreur étonnante puisque tout le livre s’échine à montrer que Tlacaelel ne fut jamais un souverain mais conseilla en revanche les souverains de Mexico.
[2] Extrait tiré page 175 du livre Anthologie Nahuatl, Témoignages littéraires du Mexique indigène, de Miguel León-Portilla et Birgitta Leander, Éditions L’Harmattan, Paris, 1996, et étant indiqué page 172 comme provenant du livre de Jacqueline de Durand-Forest, L’histoire de la vallée de Mexico selon Chimalpahin Cuauhtlehuanitzin, Éditions L’Harmattan, Paris, 1987)