mardi 10 mai 2011

"MONTEZUMA"




Comme elle apparaît grandiose, dans ce livre (MONTEZUMA, Edition Fayard 1994), la vie de l’empereur Montezuma, Huey Tlahtoani Colhuatecuhtli Moteuczoma Xocoyotzin, le Grand Orateur et Seigneur des Colhuas, Montezuma le Vénérable Cadet (pour le distinguer du premier Montezuma), souverain de l’Anahuac, le monde connu.



En 252 pages seulement et neuf chapitres, M. Graulich réussit l’exploit de nous décrire le monde aztèque au faît de sa puissance et de ses certitudes, dans la formidable ascension du petit peuple errant des Mexicas, avant les signes et présages avant-coureurs d’une catastrophe, à travers le souverain à l’éducation princière, grand guerrier conquérant, réformateur, chef intransigeant et sans scrupule, être orgueilleux placé au dessus des humains.



Ces chapitres ont les suivants : (1) L’ascension des Mexicas. (2) L’éducation d’un prince aztèque. (3) La guerre du soleil levant. (4) Les années de réforme. (5) Premières campagnes. (6)La vie quotidienne d’un souverain mexicain. (7) L’époque du Feu nouveau. (8) Les signes avant-coureurs de la chute de l’empire. (9) L’empire à son apogée.



Mais d’emblée on comprend que le Seigneur du monde connu est au cœur d’un cercle vicieux d’un ordre fragile dont l’extension spatiale et la recherche de toujours plus de richesses deviennent des buts en soi, alors même qu’il est écrit qu’il doit fatalement disparaître à terme. Dans cet ordre instable, écrit Michel Graulich page 55, « un chef devait se montrer très généreux, voire humilier ou obliger ses rivaux par ses prodigalités. Si ceux-ci n’étaient pas en mesure d’en faire autant, ils perdaient la face et admettaient leur infériorité. L’État devait donc se défendre et payer (ou récompenser). Pour cela, il lui fallait s’emparer de richesses de plus en plus importantes au fur et à mesure que l’empire grandissait. Il était pris dans un cercle vicieux. Pour conserver les nouvelles acquisitions, il fallait des armées, des alliés et donc des tributs. Pour se procurer ces moyens, il fallait conquérir et accroître l’empire. Pour protéger ces nouvelles conquêtes, il fallait de nouveaux trésors et de nouvelles guerres. » Dans la conception du monde et selon les mythes des Mésoaméricains, cet empire dominateur est la 5ème ère, le 5è Soleil où dominent les dieux des Mexicas : Tezcatlipoca et Huitzilopochtli, qui ont chassé le dieu du 4ème Soleil, Quetzalcoatl le Serpent à plumes, car chaque Soleil est l’enjeu d’une lutte entre les divins frères ennemis Tezcatlipoca et Quetzalcoatl dans laquelle l’un chasse l’autre et domine en alternance. Et nécessairement, Quetzalcoatl doit revenir et détruire le Soleil aztèque. Le grand empereur est alors le maître d’un monde à l’évidente précarité.



Alors, en définitive, comme elle est pitoyable, dans ce livre, la vie du pauvre Montezuma, prince rempli de terreurs superstitieuses, maître angoissé d’un monde qu’il sait voué à disparaître, pathétique dans ses ruses et traquenards pour repousser les Espagnols puis pour se les acoquiner, pris rapidement au piège des ambitions sans scrupules des conquistadores.



En 178 pages seulement, six chapitres et un épilogue, M. Graulich nous décrit avec génie la pièce de la catastrophe, depuis l’arrivée des « être sortis de l’eau céleste » au « roi tué par les siens », les actes successifs où peu à peu les évènements échappent au Seigneur de l’Anahuac au fur et à mesure de l’avance espagnole jusqu’à sa captivité en son propre palais, déshonoré, manipulé, puis le dénouement dramatique, le tlahtoani invectivé et frappé en définitive par son peuple.


Les cinq chapitres sont les suivants après les 9 premiers précités : (10) Les être sortis de l’eau céleste. (11) Le Serpent à Plumes. (12) L’empire se lézarde. (13) Les pièges de la vallée de Puebla. (14) La cité ceinte d’émeraude. (15) Le roi sacrifié.



N’y a-t-il pas plus poignant que la confrontation des deux mondes personnifiée par la première rencontre de Cortés et Montezuma, plus émouvant que le discours fataliste et soumis du souverain Mexica repris par M Graulich page 377 : « Je ne suis pas tout simplement en train de rêver, je ne suis pas uniquement en train de faire des songes, je ne vois pas ceci seulement dans mon sommeil, je ne fais pas que rêver de te voir, car je t’ai vu face à face. J’étais envahi de mauvaises impressions depuis cinq ans déjà, depuis dix ans déjà. J’ai regardé là-bas, vers l’endroit inconnu d’où tu es sorti, d’entre les nuages, d’entre les brouillards. (…) Et, maintenant, cela est arrivé, tu es venu ; tu as souffert bien des fatigues, tu es las ; approche-toi de la terre, repose-toi ; va faire connaissance avec ton palais, repose ton corps ; qu’ils approchent donc de la terre, nos seigneurs ! » (Sahagun CF 1. 12, 1983 : 81.)




Ce discours aurait sans doute mérité d’être rapproché des paroles du discours d’accueil de Montezuma, rapportées par Cortez lui-même, et qui marquent encore davantage cette allégeance : « Il y a bien longtemps que, par nos livres, nous avons appris de nos ancêtres que ni moi ni aucun de ceux qui habitent cette contrée n’en sommes les naturels ; nous sommes étrangers et nous sommes venus de pays lointains. Nous savons aussi que ce fut un grand chef, dont tous étaient vassaux, qui nous amena dans ce pays (Quetzalcóatl) ; il retourna dans sa patrie d’où il ne revint que longtemps après, et si longtemps qu’il retrouva ceux qu’il avait laissés derrière lui mariés avec les femmes de la contrée et vivant en famille dans les nombreux villages qu’ils avaient fondés. Il voulut les emmener avec lui, mais ils s’y refusèrent et ne voulurent même pas le reconnaître comme seigneur. Alors il repartit. Nous avons toujours cru, depuis, que ses descendants reviendraient un jour pour soumettre ce pays et faire de nous ses sujets ; et d’après la partie du monde d’où vous me dites venir, qui est celle où le soleil se lève, et les choses que vous me contez de ce grand seigneur ou roi qui vous a envoyés, nous croyons et tenons pour assuré que c’est lui notre seigneur naturel ; d’autant plus que, depuis longtemps, il est, dites-vous, au courant de nos affaires. Soyez donc certain que nous vous obéirons et que nous vous reconnaîtrons pour maître au lieu et place du grand roi dont vous parlez. "



Montezuma coupable jusque bout : « mort et suicidé à la fois », « prisonnier de ses mythes », « victime de ses mythes », « captif…………de son sentiment de culpabilité à l’égard d’un dieu que les Mexicas avaient persécuté ».


Lisez ce livre qui vous plonge dans l’apogée et la chute de l’empire aztèque à travers les contradictions d’un être humain.

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