samedi 14 mai 2011

LE SACRIFICE HUMAIN CHEZ LES AZTEQUES de Michel Graulich




Michel GRAULICH, nous livre ici avec le talent qu’on a déjà apprécié dans son excellente biographie de Montezuma (Edition Fayard, 1994) une étude complète et approfondie sur le trait de la civilisation aztèque le plus décrié, le plus atroce et le plus insoutenable : les rites du sacrifice humain et de l’anthropophagie. Ces rites n’ont de cesse de provoquer des réactions d’horreur et /ou de fascination au point souvent, chez le commun des mortels, de confondre l’ensemble de la civilisation aztèque avec ces pratiques sanglantes.

L’entreprise de M. GRAULICH est parfaitement posée à la page 29 de son ouvrage de 415 pages (Edition Fayard, 2005) : "C'est donc au sacrifice humain aztèque, à la mise à mort d'êtres humains dans le cadre de la communication avec le surhumain qu'est consacrée cette étude. Nous essayons de le décrire dans sa totalité et de le comprendre. Comprendre non pas les raisons profondes pour lesquelles les Aztèques y procédaient - la réponse la plus vraie est évidemment qu'ils la faisaient parce que c'était l'habitude, parce que dès l'enfance ils l'avaient vu et appris, parce que cela se faisait en Méso-Amérique depuis des générations, des siècles, des millénaires même -, mais la façon dont ils le pensaient, se l'expliquaient à eux-mêmes et se le justifiaient, et le cas échéant comment leurs interprétations ont pu évoluer. Nous tenterons aussi de voir si les civilisations méso-américaines présentaient une quelconque spécificité qui expliquerait ce développement extraordinaire des sacrifices humains et leur nombre croissant sous les derniers souverains de l'Empire Aztèque."

On signalera tout de suite deux bizarreries dans cette étude : (1) la conclusion a été placée – par l’éditeur ? – après les nombreuses notes et l’intéressante bibliographie ; (2) l’avant-propos, contrairement à la plupart des habituels préambules, constitue une pièce maîtresse du livre qui aurait mérité de figurer comme premier chapitre à part entière. Cette partie fondamentale, en 41 pages, analyse les origines historiques du sacrifice humain chez les Aztèques, les nombreuses théories sur les causes de ce rite et de son incroyable développement à partir du souverain Montezuma l’Ancien, les sources écrites, à la fois riches, diverses et lacunaires, et se termine par une présentation résumée du (des) calendrier (s) aztèque (s).

Les deux premiers chapitres sont consacrés aux mythes, d’abord « les idéologies du sacrifice » (chapitre I), ensuite, en pratique, les occasions de sacrifier, c’est-à-dire « le mythe en action », titre du chapitre II ; la liste des circonstances est impressionnante : les fêtes régulières, les fêtes mobiles, les évènements irréguliers…Le chapitre III met en évidence « les acteurs du drame » qui sont (1) les sacrifiants, (2) les sacrifiés, (3) les sacrificateurs, et le chapitre IV présente le déroulement du sacrifice depuis les rites préliminaires (1) et les lieux, voies et moyens de l’exécution (2), jusque aux suites, notamment le festin cannibale (3) et l’apothéose des morts (4).

Le lecteur restera surpris, voire effrayé, par la variété et l’originalité des types de mises à mort et des pratiques les accompagnant (pensons à l’écorchement !), la cardiectomie, c’est-à-dire l’excision du cœur, étant la plus connue et sans aucun doute la plus courante ; et l’on apprendra avec intérêt, puisque M. GRAULICH ne fait aucune impasse et traite de l’ensemble du sujet, que la « thoracotomie bilatérale transversale aurait été la technique la plus efficace, permettant de bien dégager le cœur sans l’abîmer, et elle est bien attestée » (cf. page 293).

On sera également intéressé par le fait que certaines célébrations paraissent exiger, « somme toute », peu de victimes en nombre, tandis qu’en revanche d’autres évènements peuvent conduire à la mort, chacun, de centaines ou de milliers, voire de dizaines de milliers de captifs, l’exemple le plus connu étant la fête d’agrandissement du temple principal de Tenochtitlan en 1487, sous le souverain Ahuitzotl. Par ailleurs, certains sacrifices demandent des enfants seulement tandis que d’autres ne peuvent concerner que des guerriers captifs.

Parmi les diverses et nombreuses explications du sacrifice humain, M. GRAULICH n’en privilégie aucune, ni n’en repousse fermement aucune, tout en ayant le mérite de les exposer et de suggérer des évolutions au cours des siècles. On en rappellera ici rapidement les principales interprétations, afin d’inciter l’internaute à se plonger dans le livre : il y a ainsi la théorie du sacrifice par expiation de sa propre faute ou par paiement d’une dette (contractée envers les dieux), la faute ou la dette pouvant être rachetées « par des objets de substitution extérieurs au coupable, des offrandes et mieux, des sacrifices d’animaux et d’hommes qui jouent le rôle de symboles expiatoires.» Il y a également la nécessité d’alimenter le soleil et tous les autres dieux qui luttent aux côtés du soleil, de renouveler son énergie en le nourrissant de « l’eau précieuse ». Les sacrifices humains sont également perçus comme « l’instrument politique d’un impérialisme totalitariste » visant à terroriser les peuples vaincus et à soumettre. Le rite peut aussi constituer une réponse collective à une démographie galopante, ou bien, du fait que le cannibalisme lui est directement lié, répond à l’impérieuse nécessité de recherche de protéines qui faisait défaut. M. GRAULICH explique enfin que « ce sont les mises à mort massives de prisonniers de guerre qui montrent que les sacrifices humains sont aussi des meurtres inspirés par la vengeance, des meurtres dont la population tout entière, qui y assiste fascinée, est en fait complice, ce qui doit renforcer son sentiment d’appartenance au groupe et souder davantage la communauté. »

L’auteur termine en suggérant que le caractère multiethnique des grandes cités méso-amérindiennes a pu concourir à l’inflation des sacrifices humains par la recherche de la cohésion de la cité souvent fragile : « il est possible que le massacre rituel d'ennemis en grand nombre et provenant d'horizons très variés, en présence de et avec la participation de la population toute entière, ait aussi visé à souder ensemble ces complices et à les décourager de partir ailleurs, chez l'ennemi.""

Pour aller à l’essentiel, un livre fascinant, autant par le sujet que par la qualité de l’analyse !

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