samedi 11 juin 2011

LA FILLE DE MONTEZUMA, UN ROMAN DE H. RIDER HAGGARD


"La fille de Montézuma" est la narration par Thomas Wingfield, un vieux gentilhomme campagnard de l'époque élisabéthaine, d'évènements qui se sont déroulés 60 ans auparavant et qui l'ont conduit depuis la campagne anglaise jusqu'aux rivages du monde aztèque dont il fut l'un des premiers blancs d'Occident à fouler le sable. C'est l'histoire d'une vengeance puisque le fil directeur de cette narration est la poursuite par le jeune T. Wingfield de l'assassin de sa mère, l'aristocrate sévillan Juan de Garcia, assassin qu'il retrouve périodiquement au milieu de péripéties et tragédies diverses et variées en Angleterre, en Espagne, sur l'Atlantique, à Mexico et dans les réduits de résistance indiens ; c'est aussi l'histoire de deux amours puisque T. Wingfield est épris de Lily Bozard, sa jeune voisine anglaise, mais il sera ensuite l'objet de la passion amoureuse de Otomie, la fille de Montézuma qu'il épousera et dont il s'éprendra en définitive, Otomie qui symbolise le monde indien refusant de se rendre à l'envahisseur et d'abandonner ses rites et croyances, et qui finira par se suicider, libérant ainsi Wingfield qui s'en retournera, plein d'usage et raison, vivre entre les bras de sa Lily, la belle anglaise, le reste de son âge ; c'est enfin l'histoire de la fin d'un monde, comme chacun l'aura deviné, puisque les amours de Otomie et de T. Wingfield ont pour toile de fond les années dramatiques marquées par l'arrivée des conquistadores, la chute de l'empire aztèque, la main mise militaire, économique, religieuse et sociale des Espagnols sur le monde indien. La première couverture est celle du livre paru en 1986, de la collection NEO PLUS N°3 (traduction de René Lecuyer et Richard D. Nolane) avec l'illustration de Jean-Michel Nicollet. Voici ce que dit la quatrième de couverture :
" Comment le jeune Thomas Wingfield aurait-il pu savoir que l'homme dont il venait d'épargner la vie était ce même Juan de Garcia qui, après avoir poursuivi sa mère de sa convoitise pour finalement l'assassiner, après avoir fait emprisonner et torturer son père, allait être la cause de toute une existence d'aventures et de dangers ? Lorsqu'il en prend conscience, il décide de venger sa mère et quitte sa terre natale à la poursuite du misérable. Passant d'abord par l'Espagne de Charles Quint, où il fait fortune, il finit par arriver dans le Nouveau Monde où, aux côtés des Aztèques, il participe activement à la défense de Tenochtitlán – le futur Mexico – et de la Cité des Pins. Car les Aztèques, après avoir failli l'immoler sur la pierre du sacrifice, l'honorent à l'égal d'un dieu, avant de lui donner pour épouse celle qui l'aime et qu'il finit par aimer lui aussi : la fille de Montézuma, le prestigieux empereur des Aztèques. Outre cette merveilleuse et haletante histoire d'amour et de vengeance, cette vaste fresque romanesque, fondée sur des données historiques rigoureuses, met en scène la fin terrible des Aztèques et de leur civilisation face à l'envahisseur espagnol Cortés, constituant un des plus parfaits romans d'aventures historiques de la littérature anglo-saxonne et l'un des plus passionnants.
Né en 1856 et mort en 1925, Sir Henry Rider Haggard, ami intime de Kipling, fut l'un des principaux représentants de l'âge d'or du roman d'aventures en Angleterre. Économiste, technicien des questions agricoles et juriste, il est d'abord pour nous un très grand romancier qui sut mêler dans tous ses romans, fantastique et aventure, ésotérisme et érotisme, pour constituer une œuvre impérissable dont une grande partie reste à traduire. Après le cycle de She complet, plusieurs volumes du cycle d'Allan Quatermain (dont Les mines du roi Salomon), nous avons publié ses deux autres romans sur les empires disparus d'Amérique Centrale : Cœur du Monde et La vierge du Soleil, ainsi que Le peuple du brouillard, L'esclave Reine, La nuit des Pharaons et un fabuleux roman historico-fantastique : Eve la Rouge. On peut lire d'autre part Le dieu jaune publié par Richard D. Nolane dans sa collection « Aventures fantastiques » chez Garancière. "
Le deuxième livre est de la collection Hachette, Idéal - Bibliothèque de 1954, avec l'illustration en couverture de Jean Sidobre, et en remontant le temps la dernière couverture est une édition de 1930,retrouvée dans une petite librairie, des Editions Jules Taillandier, Collection Voyages lointains - Aventures étranges. La traduction est également de René Lecuyer. Ce dernier livre a le charme désuet des années trente, d'autant que, si le nom de l'illustrateur n'est pas indiqué, ses illustrations attirent l'attention, ne serait-ce que parce que les Aztèques, princesse, chefs ou prêtres, etc., sont représentés comme des "peaux rouges" des plaines du Missouri (!), peut être sous l'influence de Tintin en Amérique.



dimanche 5 juin 2011

MOQUETZALIZQUIXOCHINTZETZELOA



Pour terminer sur une note positive ce dimanche soir qui vient clôre le long week end de l'Ascension (du moins pour ceux qui ont bénéficié du "pont"), je cite un extrait d'un chant qui parle de l'amitié, texte tiré des Cantares Mexicanos par Patrick Saurin qui l'a traduit et présenté page 95 de son livre des Editions José Corti (Paris 2009 - Collection Merveilleux n°19), intitulé Les Fleurs de l'Intérieur du Ciel.
Moquetzalizquixochintzetzeloa
in icniuhyotl
Aztacaxtlatlapa 'tica
ye on malinticac,
in quetzalxiloxochitl
ymapa'
on ne'nemi conchichichintinemih

in teteuctin in tepilhuana...
Tel le parfum des précieuses fleurs de maïs grillé se répand l'amitié, de blanches fleurs caxtlatlapan, elle vient tresser des guirlandes, de précieuses fleurs xiloxochitl elle s'est parée, ils vont et viennent en respirant leur parfum les seigneurs et les princes...

mercredi 1 juin 2011

UNE POÉSIE DE NEZAHUALCOYOTL



NEZAHUALCOYOTL (1402 - 1472), souverain de Texcoco, l'une des trois seigneuries de la Triple Alliance (avec Tenochtitlan et Tlacopan) qui domine le monde aztèque et alentours, est l'un des plus grands poètes connus de l'époque précolombienne. Dans la langue complexe et métaphorique qu'est le nahuatl, il a écrit de magnifiques poèmes, toujours publiés, lus et étudiés de nos jours. Lire à haute voix, en nahuatl et en français, une poésie de Nezahualcoyotl est un enchantement, qu'il s'agisse de ses chants de guerre, ses chants fleuris ou ses chants de tristesse, ainsi que l'on répartit généralement son oeuvre, ou de ses poèmes fondés selon trois interrogations majeures, Dieu, le destin de l'homme et la poésie, d'après la lecture proposée par certains. Nezahualcoyotl nous parle notamment de la fugacité de l'instant présent, de la précarité du destin humain, de l'inquiétude de l'être sur lui-même et sur le monde ; il exprime en même temps une angoissante interrogation sur "l'après" et l'au-delà et ses doutes sur la force divine. J'ai extrait ici d'un poème intitulé "L'Arbre fleuri", In Xochicuahuitl, un passage extrêmement connu et très souvent cité, avec diverses traductions qui révèlent la difficulté de traduire le nahuatl en général, et Nezahualcoyotl en particulier. Ainsi que le disait si bien J.M.G. Le Clézio dans Le rêve mexicain (Gallimard, Folio Essais, page 151) en parlant de cet extrait : "[Mais] au-delà de la fête du chant et des dieux, vient à nous une mélodie pleine de mélancolie et de vérité, et c'est elle que nous ne cessons pas d'entendre, la parole précieuse du doute."



CUIX OC NELLI NEMOHUA O A IN TLALTICPAC ? IHUI OHUAYE !

ANNOCHIPA TLALTICPAC ! ZAN ACHICA YE NICAN !

TEL CA CHALCHIHUITL NO XAMANI,

NO TEOCUICATL IN TLAPANI,

NO QUETZALLI POZTEQUI !

ANNOCHIPA TLALTICPAC ! ZAN ACHICA YE NICAN !


La Légende des Soleils, traduit du nahuatl par Jean Rose (Anacharsis Editions , Toulouse 2007) Citation avant l'introduction

Vivons-nous réellement sur cette terre ? Hélas! Un bref instant sur cette terre ! Un instant seulement ici ! Même le jade se brise, Même l'or se rompt, Même les belles plumes se flétrissent ! Un bref instant sur cette terre ! Un instant seulement ici !

Nezahualcoyotl, Sur cette terre, à nous prêtée..., traduit du nahuatl et présenté par Pascal Coumes et Claude Caër (Editions Arfuyen, Paris- Orbey 2010) page 83

Est-ce vraiment vivre que de vivre ici sur la terre ? Non pas pour toujours ici sur la terre, Mais seulement pour un bref instant. Même les jades se brisent, Même les ors se fendent, Même les plumes de quetzal se cassent. Non pas pour toujours ici sur la terre, Mais seulement pour un bref instant.

Anthologie Nahuatl, Témoignages littéraires du Mexique indigène, Miguel Leon-Portilla et Birgitta Leander (Editions Unesco / L'Harmattan, Paris 1996) page 54

Même le jade se brise, et même l'or s'altère. Même les plumes de quetzal se ternissent : la vie n'est pas sans fin sur terre, nous sommes ici pour un bref instant !

Antiguos Poetas Mesoamericanos, traducido y compilado por John Curl (site internet FAMSI) Los cantos de flor de Coyote Hambriento (Cantares Mexicanos) In Xochinquahuitl - The flower tree

Not forever on earth, only a brief time here ! Even jades fracture, even gold ruptures, even quetzal plumes tear : not forever on earth, only a brief time here ! Ohuaya, ohuaya.

mercredi 25 mai 2011

(2) LA DESTRUCTION DES INDES de BARTOLOMÉ de LAS CASAS (2ème partie)


Le texte des Editions Chandeigne (Paris, juin 1995, 2è édition révisée, septembre 2000) correspond à la réédition par Guillaume Julien, à Paris, en 1582, de la traduction française de Jacques de Miggrode. Cette traduction avait été éditée une première fois à Anvers en 1579 pour informer les Provinces Unies des Pays Bas de la cruauté des Espagnols et dénoncer les atrocités commises par eux dans les terres qu'ils colonisaient. Le texte des Editions Chandeigne est illustré des reproductions des gravures de cuivre de Théodore de Bry, parues en 1598 dans une édition latine en Allemagne. Ces images représentent presque toujours des actions violentes des Espagnols, tortures, massacres, supplices, etc., et sont placées à des endroits correspondant bien aux descriptions de la narration. Par conséquent, c'est une présentation dirigée sous forme de propagande anti-espagnole, de la fin du 16è siècle, qui est offerte au lecteur, le texte restant bien entendu celui écrit par Las Casas dans un but qui, lui, n'était pas politique, ni dirigé contre son propre pays.
La relation est précédée d'une très intéressante introduction (de 70 pages sur les 251 du livre) de Alain Milhou qui retrace clairement, entre autres, les étapes de la conquête et de la colonisation espagnoles, l'état d'esprit et la philosophie de Las Casas, ainsi que "le courant minoritaire, mais actif, de défense des indigènes" dans lequel il s'inscrivait. La relation est suivie d'une non moins très intéressante analyse iconographique de Jean-Paul Duviols, dont le titre est Le miroir de la tyrannie espagnole. Dans cette dernière partie, J.P. Duviols explique le but recherché de l'illustrateur, retrace l'histoire des gravures avant de reprendre chaque image pour l'analyser.
La relation elle-même présente les Indiens comme "des gens très simples, ..., sans malice, très obéissants et très fidèles,..., fort humbles, forts patients, très pacifiques et paisibles, ...", bref "des agneaux tant doux" face aux Espagnols "entrés comme des loups, des lions et des tigres très cruels de longtemps affamés". Elle décrit le processus de destruction en reprenant une par une les régions conquises (Hispaniola, Cuba, la Terre Ferme,le Nicaragua, la Nouvelle Espagne, le Guatamala, etc, jusqu'à La Plata, le Pérou, le Nouveau royaume de Grenade), et en reportant des témoignages des cruautés et exactions et présentant les systèmes d'exploitation. Beaucoup de chiffres sont donnés pour insister sur l'importance des pertes démographiques et du dépeuplement.
Les Aztèques et les peuples alentours apparaissent aux parties VII et VIII de l'ouvrage, intitulées respectivement De la Nouvelle Espagne et De la Nouvelle Espagne en particulier. Les termes et formules employés mettent dramatiquement en évidence l'importance du désastre humanitaire : rien qu'à la page 135, Las Casas parle de grands désordres et tueries, d'injustice, de violence et de tyrannies, de déconfitures, cruautés, tueries, dégâts, destructions de villes, pilleries, de choses les plus graves et les plus abominables, d'actes diaboliques, ....Plus de quatre millions d'âmes auraient été tuées par le fer et le feu entre le 18 avril 1518 et 1530, "en 450 lieues de pays quasi à l'entour de Mexico". Et de préciser que ne sont pas comptabilisés tous ceux qui sont tués "tous les jours dans la servitude et l'oppression ordinaire". Parmi les grands massacres, Las Casas en décrit deux bien connus : d'abord, celui de Cholula (plus de 3 000 tués) , sur la route de Mexico empruntée par Cortés après s'être rallié les Tlaxcaltèques, ennemis des Aztèques et des Cholultèques ; ensuite, la tuerie de l'enceinte du Grand Temple à Tenochtitlan (plusieurs milliers de victimes) durant la fête de Toxcal, alors que Cortés, absent de la ville, s'était fait remplacer par Pedro de Alvarado. Las Casa fait aussi rapidement référence au siège de Mexico en 1521 et de "l'horrible et épouvantable boucherie des Indiens". Il met également en évidence le raisonnement simpliste, mais pervers et cynique des conquérants, uniquement animés par l'ambition et "l'avarice diabolique" pour commettre ces "tueries et cruautés" : ces Indiens se doivent d'obéir au roi d'Espagne, même s'ils ne l'ont jamais vu, ni n'en n'ont jamais entendu parler ; ceux qui se soumettent sont mis en servitude, ceux qui ne se mettent pas dans leurs mains sont appelés des rebelles au roi, et tués ou mis en esclavage comme il se doit.
L'ensemble du pamphlet est de la même veine et l'on comprend qu'il ait pu susciter de violentes polémiques à l'époque...et bien après, tant il décrivait des Espagnols cupides, cyniques, féroces. A notre époque, nos contemporains occidentaux ont plutôt tendances à s'enthousiasmer pour ce réquisitoire, avec quelques nuances quelquefois. Sur la quatrième de couverture de la traduction traduite par Franchita Gonzalez Batlle parue aux Editions La Découverte (Paris, mai 2004), on peut lire que " Las Casas reste dans l'histoire de l'Amérique comme le premier défenseur des Indiens opprimés. Et son oeuvre demeure un document unique, une source de première main, un réquisitoire parfois insoutenable." Et de citer Télérama : " Ce petit livre-là vous plante définitivement une épine dans le coeur. Avec quatre siècles d'avance, un rapport d'Amesty International : même ton précis, même souci d'accumuler détails et exemples." Et de citer également L'Express : " Texte court et foudroyant où ce dominicain dénonce l'holocauste perpétué au nom du Christ et de l'or, et témoigne le premier de la dignité du "sauvage". " Sur la quatrième de couverture d'une autre traduction de Jacques de Miggrode, parue aux Editions 1001 Nuits (Paris, octobre 1999), on peut lire que le texte de Las Casas peut être considéré " comme le texte fondateur de l'anticolonialisme ". Les propos sont parfois plus nuancés, ainsi dans l'article de Wikipédia dédié à la Brévisima relacion de la destruccion de las Indias, il est écrit que "l'oeuvre de Las Casa se veut polémique, ses récits contiennent de nombreuses exagérations et présentent les évènements historiques sous l'angle souvent manichéen." Et le dictionnaire des noms propres du Petit Robert indique pour sa part (Editions 1994 - 1995) que " l'ouvrage, qui manque de nuances et contient des inexactitudes, est cependant d'une grande générosité. "
Je terminerai en revenant au livre des Editions Chandeigne, pour laisser les derniers mots à Alain Milhou et citer un petit passage de l'introduction, page 10 :
" Il ne faut pas lire la Destruction des Indes comme un rapport d'Amnesty International. Ce n'est pas un simple catalogue d'atteintes aux droits de l'homme, et c'est même beaucoup plus qu'un pamphlet. C'est un texte qui s'appuie sur une théologie rigoureuse du droit naturel, issu de saint Thomas d'Aquin. Mais c'est aussi un dénonciation prophétique des persécutions subies par une Eglise potentielle dont les membres sont les Indiens, baptisés et non-baptisés. Las Casas voit en eux l'image du Christ flagellé, comme le suggère le détail de la gravure de De Bry figurant en couverture (...) ".
Lecteurs, à vos livres !

dimanche 22 mai 2011

(1) LA DESTRUCTION DES INDES de BARTOLOMÉ de LAS CASAS (1ère partie)



Je me m'étendrai pas ici sur la vie de Bartolomé de Las Casas (BdLC par la suite) ; il est trop connu et face à cette grande figure de l'humanité, je ne m'imagine pas la réduire en quelques lignes. Rien que sur le site Wikipédia, sa biographie représente une dizaine de pages imprimées. Je rappellerai juste que cet Espagnol est né à Séville en 1470, ou vers 1474, ou vers 1484 ou 1485 (cela dépend des sources) et qu'il meurt assurément en 1556. Entre ces repères chronologiques, c'est une vie "é - norme" : une prodigieuse capacité à s'indigner, à réagir et à chercher des remèdes ; des certitudes inébranlables et des engagements profonds ; des actions magnifiques, une œuvre considérable et tumultueuse, des combats infatigables et pacifiques ; un courage qu'on ne peut imaginer. Mais tout cela ne constitue que des mots alignés, j'en suis conscient, par rapport à la majesté et la grandiose "densité" du personnage. Pour faire très très bref, ce fils et neveu de compagnons de C. Colomb (deuxième voyage), débarque en 1502 dans le Nouveau Monde, participe d'abord à son exploitation en s'occupant d'une encomienda, une colonie agricole, sur l'île d'Hipaniola (île de Saint-Domingue et d'Haïti), puis se tourne vers la prêtrise. Révolté par la condition des indigènes, BdLC devient le défenseur des Indiens, propose des réformes économiques et sociales pour sauvegarder leurs vies, entre dans l'ordre des Dominicains, débat, controverse, se défend et critique sans cesse, et en définitive parvient à atteindre les plus hautes autorités espagnoles. En 1542, il présente à l'empereur Charles Quint le résumé (ou une ébauche) de la Brevisima relacion de la destruccion de las Indias dans laquelle il décrit les cruautés des Espagnols et les souffrances subies par les Indiens. En dépit des furieuses polémiques déclenchées par ce réquisitoire, le Pouvoir indigné prend de nouvelles lois visant à protéger les Indiens, lois qui seront assez rapidement abrogées en raison des violentes réactions dans le Nouveau Monde. BdLC rédige ensuite son ouvrage majeur "L'Histoire des Indes" (Historia de las Indias) et un ouvrage moral sur les vertus des Indiens "L'Histoire apologétique" (Apologética Historia de las Indias) ; parallèlement, il continue à débattre, à écrire, à influencer les missionnaires, à justifier sa cause, à critiquer les colons, à dénoncer les pillages et les cruautés de toutes sortes. Il fut évidemment un homme attaqué, menacé, moqué, controversé, une partie de son oeuvre fut interdite, mais jamais il ne cessa son combat. Il le fera jusque dans son testament, en 1564, avant de mourir en 1566 (à Madrid).

Il existe plusieurs livres présentant une traduction de la "Très brève relation de la destruction des Indes". Je citerai notamment le texte adapté par Jérôme Vérain dans La Petite Collection, aux Editions 1001 Nuits (Paris 1999) ou le texte traduit par Franchita Gonzales Batlle aux Editions La Découverte, collection La Découverte poche (Paris 2004). J'ai choisi de mettre en avant La Destruction des Indes (1552) des Editions Chandeigne (Paris 1995, révision en 2000) mais, pour ne point discriminer les livres cités, j'ai placé à côté de la une en couverture jaune des Editions Chandeigne, la une du livre des Editions La Découverte et celle du livre des Editions 1001 Nuits. Et j'y ai ajouté une représentation laudative de BdLC sous forme d'un timbre mexicain de 1933 (d'une valeur actuelle de... 0,30 € d'après le catalogue 2008 des Editions philatéliques Yvert & Tellier, sit transit gloria mundi).

La suite à lire dans la 2ème partie.

mardi 17 mai 2011

LA SORCIERE ET LE CONQUISTADOR, UN ROMAN DE DIDIER GROSJEAN ET CLAUDINE ROLAND

Résumé sur le dos du livre : "15 février 1519 : l'empereur aztèque Moctezuma apprend que des hommes blancs viennent d'aborder la côte mexicaine sur des "montagnes flottantes". Cortés et ses guerriers viennent conquérir son empire. Le jeune Aztèque Tlacotzin assiste à la tragique et sanglante épopée qui mène les Espagnols de Vera Cruz à Tenochtitlan-Mexico. Déchiré entre son amour pour son peuple et sa soeur, la belle et inquiétante Malintzin, Tlacotzin vivra jusqu'au bout la tragédie des siens. Cortés est-il, comme le croit Moctezuma, la réincarnation de Quetzacoatl, le dieu blanc qui doit revenir de l'au-delà des mers ?"


La collection de chez Hatier, "histoires d'Histoire", nous offre un roman historique sur le "temps des Aztèques", qui met en scène les principaux protagonistes de la geste tant décrite de la conquête du Mexique, à savoir le conquistador Cortés lui-même et le souverain aztèque Moctezuma, ainsi que l'indienne interprète pour les Espagnols et leur agent de renseignements, dénommée Malintzin (c'est la sorcière du livre) ou autrement appelée Marina pour les Espagnols. Le héros principal, témoin essentiel des évènements, est le demi-frère de Malintzin, Tlacotzin. Autour de celui-ci gravitent divers personnages secondaires indiens et espagnols, tels Atototl (Oiseau d'Eau) servante et amie, Bouclier Fumant, son protecteur, guerrier de haut rang (il est Chevalier-Aigle), Roseau-qui-parle le pochteca, c'est-à-dire le marchand, qui sert d'agent de liaison et d'espion pour le compte des Aztèques, Orteguilla, le jeune page de Cortés, ami inséparable de Tlacotzin, Bernal Diaz, le soldat espagnol qui l'a fait prisonnier lors d'une première rencontre entre les indiens et la troupe de Cortés......


Ce roman historique, plus roman qu'historique comme il se doit, permet de présenter des traits intéressants de la vie quotidienne et sociale des Aztèques, dans un village, dans une famille , dans la capitale, parmi les marchands, ou à la cour du souverain.


Ce roman présente également en toile de fond beaucoup des caractéristiques de la geste de la conquête quant aux évènements et aux comportements des principaux acteurs. On répertorie ainsi de façon bien décrite : la surprenante confrontation des deux mondes, avec l'arrivée des Espagnols chez les Mayas, puis chez les Totonaques soumis aux Aztèques ; la rapide compréhension de Cortés de la donne politique et mystico-religieuse aztèque et des atouts qu'il peut en tirer ; l'attrait irrésistible de l'or comme motivation première de la conquête ; l'épopée de Cortés de la côte du golfe du Mexique à Mexico avec la mise au pas des principaux ennemis des Aztèques, les Tlacaltèques qui deviennent ses alliés ; les scrupules religieux et les atermoiments de Moctezuma et ses vains procédés pour dissuader les Espagnols de poursuivre leur route ; les pressions de l'entourage du souverain pour s'opposer fermement aux conquistadores ; la rencontre des deux chefs et les évènements de Tenochtitlan jusqu'à la Noche Triste du 30 juin 1520 au cours de laquelle les Espagnols fuient la ville.


L'épilogue se situe bien des mois après, et l'on comprend que Mexico est tombée, les dieux sont partis, les baptêmes forcés ont remplacés les sacrifices humains.


Dans la tourmente évoluent des couples plus ou moins ambivalents, essentiellement Tlacotzin et sa soeur Malintzin, Malintzin et son amant Cortés, Cortés et Moctezuma...


La pierre angulaire de ce roman, en dépit de l'apparent fil directeur constitué des multiples va et vient géographiques et des états d'âmes du sympathique et parfois pathétique Tlacotzin, c'est la rancune tenace, la volonté de vengeance, l'ambition formidable de Malintzin, "la petite fille mal aimée de Jaltipan", sa ville d'origine où on la traitait de sorcière et son père gouverneur, sous l'influence de sa seconde épouse, voulut s'en débarrasser pour l'enfermer dans un temple de la capitale. Elle contribue avec force à la disparition de son monde indien, d'où elle s'est sentie rejetée, en révélant les croyances mythologiques et les peurs mystiques du souverain aztèque, choisissant tout de suite son camp, le camp de celui qui sera son amant Cortés et dont elle sera l'interprète, chacun se servant de l'autre (avec amour) et puisant réciproquement dans la force de l'autre pour réaliser ses objectifs. Elle trahit sur tous les plans avec conviction la sorcière, "cela me plaît de te voir devenir chrétien, dit-elle à son frère. Si tu veux être un bon petit traître, commence par trahir tes propres dieux !"..."Mexico sera détruite, les dieux qui m'avaient condamnée depuis ma naissance s'enfuiront de ce pays." prédit-elle plus loin. Mais cette femme désespérée le restera après la destruction qu'elle a voulue, quand "le dieu du vent du nord et des ténèbres, protecteur des sorciers, en disparaissant la laissera seule et sans force", rejetée même par Cortés.


Et pour finir, échappant à tous les combats, massacres et autres catastrophes, c'est Tlacotzin qui, souriant et d'un pas vif, s'en retourne restaurer sa ville de Jaltipan.


Au total, un livre plein d'enseignements pour les jeunes et ceux qui ignorent tout de la conquête du Mexique et du monde des Aztèques, un peu simpliste dans les dialogues et l'expression des sentiments, mais bien agréable à lire pour tous, d'autant qu'en définitive la plupart de nos personnages sont attachants.


A noter également les illustrations de François Davot, notamment, pour reprendre l'observation d'un blogueur sur les peuples du soleil, un beau dessin de sacrifice humain en haut d'un temple, page 159 du livre,;-) !

samedi 14 mai 2011

HYMNE A TENOCHTITLAN "IN ATL IN TEPETL"

Hymne à Mexico – Tenochtitlan (suivi de sa traduction)


Chalchimmalacayotimanin
Atloyan tepetl huiya
çan quetzaltonameyotimani
Mexico nican huiya
itlan neyacalhuilotoc
in teteuctin
y yxochiayahuitl
in tepan motecaya ohuaya
O anca ye mochan
an ipalnemoani
O anca ye nican y tontlahtohua
yehuan totatzin aya
y celteotl
y anahuac in hualcaco mocuic
in tepan motecaya ohuaya
Yztac huexotlaya yztac tolin
yeimanica Mexico nica huiya
timatlalaztatototl
tiplatlantihuitz
tehuan tjteotl [spiritu santo] ohuaya
O anca ye tehuatl aya
ypan ticçohuaya
ypan ticyectia
in ye mocuitlapil yn ye matlapal aya
yn momacehual y cemicac
in çan tontlatoa yehua
Mexico nica huiya ohuaya
Maca ca no ya huia nenemi
yehua an motlaocol aya
Moteucçomatzin in totoquihuatzin
ac nel quitlacohtiz yn ipalnemohua
Ca quitzitzquico in ilhuicatl aya
In tlalticpac ohuaya
O anca tlachinolmilini
Intlatol yecoya ihtoa
y nauhcampa
y yaooquitlahuizcallotia
in atloyan tepetl
yn Tenochtitlan Moteucçomatzin
Neçahualpillin acolihuacan
O ohuaya ohuaya
çan quetzal ehcacehuaztica
oneyacalhuilotoc y elcicihuin
ytlaocoyan o huaye
quen y maniço
yn atloyan tepetl yn Tenochtitlan
quen quihtoa [dios]
a y yece yenican ohuaya

Hymne à Mexico – Tenochtitlan
(traduction de Patrick Saurin dans LA FLEUR, LE CHANT In xochitl in cuicatl
La poésie au temps des Aztèques – Éditions Jérôme Million, 2003)

Entourée d’anneaux de jade, « l’eau, la montagne » (huiya), resplendissante comme une plume de quetzal, ici se trouve Mexico (huiya). En ce lieu, on est venu faire de l’ombre pour les seigneurs. Une brume fleurie s’y répand sur tous (ohuaya).
Oh ! C’est bien là ta demeure, toi, Celui par qui l’on vit. Oh ! C’est bien ici que tu commandes. C’est lui notre vénérable père (aya), lui le seul dieu. Dans l’Anahuac, ton chant est entendu, sur tous il se répand (ohuaya).
Des saules blancs, des joncs blancs, ce qui s’étend ici, c’est Mexico (huiya). Tu es le héron bleu, tu viens prendre ton essor. Ô toi, tu es dieu ! [Esprit Saint] (ohuaya).
Ô ! C’est bien toi (aya), qui sur cet endroit déploie, sur cet endroit dispose, ta queue, ton aile (aya), ton peuple, pour toujours. C’est seulement toi qui commandes, ici, à Mexico (huiya, ohuaya).
Qu’elle ne se manifeste pas (huiya), votre pitié (aya), Motecuhzomatzin, Totoquihuatzin. Qui donc alors servirait Celui par qui l’on vit ? Car il est venu soutenir le ciel (aya), au-dessus de la terre (ohuaya).
Ô ! C’est bien l’incendie qui flamboie, ils viennent de prononcer leurs exhortations dans les quatre directions. Ils allument la guerre pour « l’eau, la montagne », à Tenochtitlan, Motecuhzomatzin, et Nezahualpilli à Acolhuacan, (a ohuaya, ohuaya).
Avec des éventails en plumes de quetzal, on est venu faire de l’ombre pour celui qui soupire, celui qui s’afflige, (ohuaye). Que va-t-il devenir de « l’eau, de la montagne », de Tenochtitlan ? Que va décider dieu ici ? (ohuaya)

LE SACRIFICE HUMAIN CHEZ LES AZTEQUES de Michel Graulich




Michel GRAULICH, nous livre ici avec le talent qu’on a déjà apprécié dans son excellente biographie de Montezuma (Edition Fayard, 1994) une étude complète et approfondie sur le trait de la civilisation aztèque le plus décrié, le plus atroce et le plus insoutenable : les rites du sacrifice humain et de l’anthropophagie. Ces rites n’ont de cesse de provoquer des réactions d’horreur et /ou de fascination au point souvent, chez le commun des mortels, de confondre l’ensemble de la civilisation aztèque avec ces pratiques sanglantes.

L’entreprise de M. GRAULICH est parfaitement posée à la page 29 de son ouvrage de 415 pages (Edition Fayard, 2005) : "C'est donc au sacrifice humain aztèque, à la mise à mort d'êtres humains dans le cadre de la communication avec le surhumain qu'est consacrée cette étude. Nous essayons de le décrire dans sa totalité et de le comprendre. Comprendre non pas les raisons profondes pour lesquelles les Aztèques y procédaient - la réponse la plus vraie est évidemment qu'ils la faisaient parce que c'était l'habitude, parce que dès l'enfance ils l'avaient vu et appris, parce que cela se faisait en Méso-Amérique depuis des générations, des siècles, des millénaires même -, mais la façon dont ils le pensaient, se l'expliquaient à eux-mêmes et se le justifiaient, et le cas échéant comment leurs interprétations ont pu évoluer. Nous tenterons aussi de voir si les civilisations méso-américaines présentaient une quelconque spécificité qui expliquerait ce développement extraordinaire des sacrifices humains et leur nombre croissant sous les derniers souverains de l'Empire Aztèque."

On signalera tout de suite deux bizarreries dans cette étude : (1) la conclusion a été placée – par l’éditeur ? – après les nombreuses notes et l’intéressante bibliographie ; (2) l’avant-propos, contrairement à la plupart des habituels préambules, constitue une pièce maîtresse du livre qui aurait mérité de figurer comme premier chapitre à part entière. Cette partie fondamentale, en 41 pages, analyse les origines historiques du sacrifice humain chez les Aztèques, les nombreuses théories sur les causes de ce rite et de son incroyable développement à partir du souverain Montezuma l’Ancien, les sources écrites, à la fois riches, diverses et lacunaires, et se termine par une présentation résumée du (des) calendrier (s) aztèque (s).

Les deux premiers chapitres sont consacrés aux mythes, d’abord « les idéologies du sacrifice » (chapitre I), ensuite, en pratique, les occasions de sacrifier, c’est-à-dire « le mythe en action », titre du chapitre II ; la liste des circonstances est impressionnante : les fêtes régulières, les fêtes mobiles, les évènements irréguliers…Le chapitre III met en évidence « les acteurs du drame » qui sont (1) les sacrifiants, (2) les sacrifiés, (3) les sacrificateurs, et le chapitre IV présente le déroulement du sacrifice depuis les rites préliminaires (1) et les lieux, voies et moyens de l’exécution (2), jusque aux suites, notamment le festin cannibale (3) et l’apothéose des morts (4).

Le lecteur restera surpris, voire effrayé, par la variété et l’originalité des types de mises à mort et des pratiques les accompagnant (pensons à l’écorchement !), la cardiectomie, c’est-à-dire l’excision du cœur, étant la plus connue et sans aucun doute la plus courante ; et l’on apprendra avec intérêt, puisque M. GRAULICH ne fait aucune impasse et traite de l’ensemble du sujet, que la « thoracotomie bilatérale transversale aurait été la technique la plus efficace, permettant de bien dégager le cœur sans l’abîmer, et elle est bien attestée » (cf. page 293).

On sera également intéressé par le fait que certaines célébrations paraissent exiger, « somme toute », peu de victimes en nombre, tandis qu’en revanche d’autres évènements peuvent conduire à la mort, chacun, de centaines ou de milliers, voire de dizaines de milliers de captifs, l’exemple le plus connu étant la fête d’agrandissement du temple principal de Tenochtitlan en 1487, sous le souverain Ahuitzotl. Par ailleurs, certains sacrifices demandent des enfants seulement tandis que d’autres ne peuvent concerner que des guerriers captifs.

Parmi les diverses et nombreuses explications du sacrifice humain, M. GRAULICH n’en privilégie aucune, ni n’en repousse fermement aucune, tout en ayant le mérite de les exposer et de suggérer des évolutions au cours des siècles. On en rappellera ici rapidement les principales interprétations, afin d’inciter l’internaute à se plonger dans le livre : il y a ainsi la théorie du sacrifice par expiation de sa propre faute ou par paiement d’une dette (contractée envers les dieux), la faute ou la dette pouvant être rachetées « par des objets de substitution extérieurs au coupable, des offrandes et mieux, des sacrifices d’animaux et d’hommes qui jouent le rôle de symboles expiatoires.» Il y a également la nécessité d’alimenter le soleil et tous les autres dieux qui luttent aux côtés du soleil, de renouveler son énergie en le nourrissant de « l’eau précieuse ». Les sacrifices humains sont également perçus comme « l’instrument politique d’un impérialisme totalitariste » visant à terroriser les peuples vaincus et à soumettre. Le rite peut aussi constituer une réponse collective à une démographie galopante, ou bien, du fait que le cannibalisme lui est directement lié, répond à l’impérieuse nécessité de recherche de protéines qui faisait défaut. M. GRAULICH explique enfin que « ce sont les mises à mort massives de prisonniers de guerre qui montrent que les sacrifices humains sont aussi des meurtres inspirés par la vengeance, des meurtres dont la population tout entière, qui y assiste fascinée, est en fait complice, ce qui doit renforcer son sentiment d’appartenance au groupe et souder davantage la communauté. »

L’auteur termine en suggérant que le caractère multiethnique des grandes cités méso-amérindiennes a pu concourir à l’inflation des sacrifices humains par la recherche de la cohésion de la cité souvent fragile : « il est possible que le massacre rituel d'ennemis en grand nombre et provenant d'horizons très variés, en présence de et avec la participation de la population toute entière, ait aussi visé à souder ensemble ces complices et à les décourager de partir ailleurs, chez l'ennemi.""

Pour aller à l’essentiel, un livre fascinant, autant par le sujet que par la qualité de l’analyse !

Commentaire(s) fleuri(s) d’un soir sur un poème de Nezahualcoyolt






Commentaire(s) fleuri(s) d’un soir sur un poème de Nezahualcoyolt
J’ai vu sur le blog LES PEUPLES DU SOLEIL, qui se dit « le blog consacré aux fictions mettant en scène des peuples précolombiens », à l’occasion d’un échange dit « dimanche poétique » 28/11/2010 la reproduction d’un beau texte de Nezahualcoyotl, Dialogue avec le prince Yohyotzin. Voici ce qui était écrit :
« Nezahualcoyotl (environ 1402-1472) était un roi de la province de Tezcoco et l'un des rares noms d'auteurs de poésie nahuatl qui nous soient connus. Féru de poésie, il organisa de nombreux concours, auxquels il ne dédaignait pas de participer.
- Je suis venu ici, moi, Yohyotzin.
Anxieux, je respire les fleurs
sur cette terre où se fanent les fleurs.
Je cueille les fleurs de cacao, j'effeuille les fleurs de l'amitié.
Tu es, ô seigneur, tu es le roi Nezahualcoyolt!
Moi, prince Yohyotzin, je suis venu chercher tes chants;
tes chants sont beaux, je suis venu les chercher.
- Ainsi qu'émeraudes, que colliers, que plumages de riches plumes,
j'estime tes chants, je les aime et je les danse
près des tambourins, dans la Maison du Printemps.
Je suis Yohyotzin, mon cœur les savoure.
Prends ton tambourin fleuri à l'odeur de maïs,
que se répandent les fleurs à l'odeur de cacao!
Réjouissons-nous près des tambourins!
Là, où se dresse l'Arbre Fleuri,
Là vit le bel oiseau de pourpre:
voici qu'en cet oiseau Nezahualcoyolt s'est changé
et que s'élèvent les chants fleuris qui apportent la joie aux fleurs! »

Comme les commentaires étaient possibles, je me suis permis de faire le mien qui a été le suivant :
Commentaires
C'est en effet un fort beau poème qui incarne en soi la poésie nahuatl : les deux mots directeurs du poème sont en effet la fleur et le chant qui reviennent sans cesse, c'est-à-dire in xochitl in cuicatl, ces termes associés dans la langue nahuatl pour signifier "la poésie". M'essayant modestement à acquérir quelques notions de nahuatl, j'imagine combien ce poème devait être agréable à entendre, chanté ou déclamé. Ainsi le thème de la fleur (xochitl) qui est repris répété sans cesse en association avec divers autres éléments permet de former des mots chantants et suaves,
tels que
xochiyeelehuiya pour je respire les fleurs
xochitlatlapanaco pour se fanent les fleurs.
cacahuaxochitli pour les fleurs de cacao,
icniuhxochitli pour les fleurs de l'amitié
izquixochitli huehuetl pour le tambourin fleuri à l'odeur de maïs, etc. etc.
Écrit par : Arnaldus 19.03.2011

J’ajouterai aujourd’hui que dans le texte nahuatl de ce poème apparaît également le vers ni xochicuicuicatinemi qui se traduirait par « je vais chantant mes chants fleuris ». (Tiré du livre NEZAHUALCOYOTL, Sur cette terre à nous prêtée…, traduit du nahuatl et présenté par Pascal Coumes et Jean-Claude Caër, Éditions Arfuyen, Paris-Orbey 2010)
Enfin, le thème de la fleur me rappelle aussi l’une des formules les plus plaisantes, presque précieuses, que j’ai pu trouver avec la construction d’un des mots les plus longs de la langue nahuatl (du moins, pour moi) ; je cite :
Moquetzalizquixochintzetzeloa in icniuhyotl, c’est-à-dire : Tel le parfum des précieuses fleurs de maïs grillé, se répand l’amitié…(Tiré du chant 12, Cantares Mexicanos, du livre LES FLEURS DE L’INTÉRIEUR DU CIEL, Chants de l’ancien Mexique traduits du nahuatl et présentés par Patrick Saurin, Éditions José Corti, Paris 2009)
Voilà de quoi s’endormir sereinement, la tête pleine de quetzalxiloxochitl

mardi 10 mai 2011

"MONTEZUMA"




Comme elle apparaît grandiose, dans ce livre (MONTEZUMA, Edition Fayard 1994), la vie de l’empereur Montezuma, Huey Tlahtoani Colhuatecuhtli Moteuczoma Xocoyotzin, le Grand Orateur et Seigneur des Colhuas, Montezuma le Vénérable Cadet (pour le distinguer du premier Montezuma), souverain de l’Anahuac, le monde connu.



En 252 pages seulement et neuf chapitres, M. Graulich réussit l’exploit de nous décrire le monde aztèque au faît de sa puissance et de ses certitudes, dans la formidable ascension du petit peuple errant des Mexicas, avant les signes et présages avant-coureurs d’une catastrophe, à travers le souverain à l’éducation princière, grand guerrier conquérant, réformateur, chef intransigeant et sans scrupule, être orgueilleux placé au dessus des humains.



Ces chapitres ont les suivants : (1) L’ascension des Mexicas. (2) L’éducation d’un prince aztèque. (3) La guerre du soleil levant. (4) Les années de réforme. (5) Premières campagnes. (6)La vie quotidienne d’un souverain mexicain. (7) L’époque du Feu nouveau. (8) Les signes avant-coureurs de la chute de l’empire. (9) L’empire à son apogée.



Mais d’emblée on comprend que le Seigneur du monde connu est au cœur d’un cercle vicieux d’un ordre fragile dont l’extension spatiale et la recherche de toujours plus de richesses deviennent des buts en soi, alors même qu’il est écrit qu’il doit fatalement disparaître à terme. Dans cet ordre instable, écrit Michel Graulich page 55, « un chef devait se montrer très généreux, voire humilier ou obliger ses rivaux par ses prodigalités. Si ceux-ci n’étaient pas en mesure d’en faire autant, ils perdaient la face et admettaient leur infériorité. L’État devait donc se défendre et payer (ou récompenser). Pour cela, il lui fallait s’emparer de richesses de plus en plus importantes au fur et à mesure que l’empire grandissait. Il était pris dans un cercle vicieux. Pour conserver les nouvelles acquisitions, il fallait des armées, des alliés et donc des tributs. Pour se procurer ces moyens, il fallait conquérir et accroître l’empire. Pour protéger ces nouvelles conquêtes, il fallait de nouveaux trésors et de nouvelles guerres. » Dans la conception du monde et selon les mythes des Mésoaméricains, cet empire dominateur est la 5ème ère, le 5è Soleil où dominent les dieux des Mexicas : Tezcatlipoca et Huitzilopochtli, qui ont chassé le dieu du 4ème Soleil, Quetzalcoatl le Serpent à plumes, car chaque Soleil est l’enjeu d’une lutte entre les divins frères ennemis Tezcatlipoca et Quetzalcoatl dans laquelle l’un chasse l’autre et domine en alternance. Et nécessairement, Quetzalcoatl doit revenir et détruire le Soleil aztèque. Le grand empereur est alors le maître d’un monde à l’évidente précarité.



Alors, en définitive, comme elle est pitoyable, dans ce livre, la vie du pauvre Montezuma, prince rempli de terreurs superstitieuses, maître angoissé d’un monde qu’il sait voué à disparaître, pathétique dans ses ruses et traquenards pour repousser les Espagnols puis pour se les acoquiner, pris rapidement au piège des ambitions sans scrupules des conquistadores.



En 178 pages seulement, six chapitres et un épilogue, M. Graulich nous décrit avec génie la pièce de la catastrophe, depuis l’arrivée des « être sortis de l’eau céleste » au « roi tué par les siens », les actes successifs où peu à peu les évènements échappent au Seigneur de l’Anahuac au fur et à mesure de l’avance espagnole jusqu’à sa captivité en son propre palais, déshonoré, manipulé, puis le dénouement dramatique, le tlahtoani invectivé et frappé en définitive par son peuple.


Les cinq chapitres sont les suivants après les 9 premiers précités : (10) Les être sortis de l’eau céleste. (11) Le Serpent à Plumes. (12) L’empire se lézarde. (13) Les pièges de la vallée de Puebla. (14) La cité ceinte d’émeraude. (15) Le roi sacrifié.



N’y a-t-il pas plus poignant que la confrontation des deux mondes personnifiée par la première rencontre de Cortés et Montezuma, plus émouvant que le discours fataliste et soumis du souverain Mexica repris par M Graulich page 377 : « Je ne suis pas tout simplement en train de rêver, je ne suis pas uniquement en train de faire des songes, je ne vois pas ceci seulement dans mon sommeil, je ne fais pas que rêver de te voir, car je t’ai vu face à face. J’étais envahi de mauvaises impressions depuis cinq ans déjà, depuis dix ans déjà. J’ai regardé là-bas, vers l’endroit inconnu d’où tu es sorti, d’entre les nuages, d’entre les brouillards. (…) Et, maintenant, cela est arrivé, tu es venu ; tu as souffert bien des fatigues, tu es las ; approche-toi de la terre, repose-toi ; va faire connaissance avec ton palais, repose ton corps ; qu’ils approchent donc de la terre, nos seigneurs ! » (Sahagun CF 1. 12, 1983 : 81.)




Ce discours aurait sans doute mérité d’être rapproché des paroles du discours d’accueil de Montezuma, rapportées par Cortez lui-même, et qui marquent encore davantage cette allégeance : « Il y a bien longtemps que, par nos livres, nous avons appris de nos ancêtres que ni moi ni aucun de ceux qui habitent cette contrée n’en sommes les naturels ; nous sommes étrangers et nous sommes venus de pays lointains. Nous savons aussi que ce fut un grand chef, dont tous étaient vassaux, qui nous amena dans ce pays (Quetzalcóatl) ; il retourna dans sa patrie d’où il ne revint que longtemps après, et si longtemps qu’il retrouva ceux qu’il avait laissés derrière lui mariés avec les femmes de la contrée et vivant en famille dans les nombreux villages qu’ils avaient fondés. Il voulut les emmener avec lui, mais ils s’y refusèrent et ne voulurent même pas le reconnaître comme seigneur. Alors il repartit. Nous avons toujours cru, depuis, que ses descendants reviendraient un jour pour soumettre ce pays et faire de nous ses sujets ; et d’après la partie du monde d’où vous me dites venir, qui est celle où le soleil se lève, et les choses que vous me contez de ce grand seigneur ou roi qui vous a envoyés, nous croyons et tenons pour assuré que c’est lui notre seigneur naturel ; d’autant plus que, depuis longtemps, il est, dites-vous, au courant de nos affaires. Soyez donc certain que nous vous obéirons et que nous vous reconnaîtrons pour maître au lieu et place du grand roi dont vous parlez. "



Montezuma coupable jusque bout : « mort et suicidé à la fois », « prisonnier de ses mythes », « victime de ses mythes », « captif…………de son sentiment de culpabilité à l’égard d’un dieu que les Mexicas avaient persécuté ».


Lisez ce livre qui vous plonge dans l’apogée et la chute de l’empire aztèque à travers les contradictions d’un être humain.

lundi 11 avril 2011

"LE CONQUERANT DE L'IMPOSSIBLE"





Cette biographie de Cortés (1485 – 1547), LE CONQUÉRANT DE L’IMPOSSIBLE, se lit passionnément comme un roman, parce que, osons l’horrible cliché, la vie de Cortés est un roman ! Un roman noir néanmoins puisque la vie de Cortés conduit à la mort d’un empire et d’une civilisation, échéance fatale qui n’apparaît pas trop à la lecture de ce livre. A l’évidence, M. Bennassar aime Cortés, il cherche à saisir les mille facettes et contradictions apparentes de ce «personnage improbable » (titre de l’introduction); il est fasciné par cet « architecte du futur » (titre d’un des chapitres), son charisme, son génie manipulateur, ses dons d’organisateur et son dynamisme créateur, son ambition insatiable, ses amours ; il est touché par ses déboires, ses doutes, ses erreurs et ses échecs. En tout cas, le livre a le mérite, un, de ne pas se focaliser sur la campagne de conquête des années 1519 – 1521 qui voient la chute de l’empire Mexica sous les coups de l’armée du conquistador et de ses alliés indiens et, deux, d’aller bien au-delà de la facile description du reître cruel, cupide et cynique, sans tomber non plus dans la recherche nostalgique d’un autre Alexandre Le Grand. En outre, un très grand intérêt du livre réside, à travers les aléas de la vie du conquérant, dans la description de l’organisation politique, économique et sociale qui s’amorce dans la Nouvelle Espagne.


Le livre commence par une sorte de préambule intitulé LE MONDE D’HERNAN CORTÉS, qui répertorie les principaux personnages apparaissant dans le livre, en distinguant : (1) La famille, (2) Les compagnons de la conquête, (3) Rivaux et adversaires [sous-entendu espagnols], (3) Les hommes du roi, (4) Les religieux, et en dernier (5) Les Indiens. Pour ces derniers, huit noms sont donnés. Le monde indien : huit petits noms parmi lesquels celui de Malintzin alias La Malinche, l’interprète et l’amante, qui fut toujours loyale aux Espagnols.


La biographie est composée ensuite de trois parties.


La première partie traite du CONQUÉRANT avec cinq grands chapitres : (1) Hernan Cortés sort de l’ombre. (2) La moitié obscure d’une vie. (3) Cortés et l’armée de conquête. (4) Entre deux mondes, Cortés architecte du futur. (5) La longue marche, Aux limites de la conquête.


La deuxième partie va DU TROMPHE AU DÉSENCHANTEMENT et comporte aussi cinq grands chapitres : (6) Le nœud de vipères et le magicien. (7) Éblouir l’Espagne. (8) Une vie de seigneur. (9) Les rêves de la mer du Sud. (10) Une très longue attente.


La troisième partie trace, en profondeur, des ESQUISSES POUR UN PORTRAIT avec toujours cinq grandes parties : (11) Un personnage charismatique. (12) L’homme couvert de femmes. (13)Cortés et les Indiens, Sous le regard de l’autre. (14) Cortés, le pouvoir et la richesse. (15) Un homme de légendes.


Enfin, la conclusion est plutôt provocatrice car sous une question se cache sans doute une affirmation : UN MODELE CORTÉSIEN ?


La chronologie est dite sommaire dans la table des matières, elle est en fait suffisante, lisible et bien faite pour le commun des mortels qui maîtrise peu l’époque en question.


Ouvrage à lire par conséquent, puisque de toute façon, pour nous autres, passionnés de culture et d’histoire Mexica, il vaut mieux bien connaître l’ennemi par qui le scandale de la destruction est arrivé. Mais quel sentiment d’amertume tirons nous de la lecture de certaines pages : certes, la catastrophe démographique du fait notamment des épidémies a été imprévisible ; certes, la réduction au statut d’esclaves de nombreux Indiens et la peine du marquage au fer étaient des usages de l’époque ; certes, la conquête peut s’expliquer parce que le monde indien était « divisé contre lui-même » en raison notamment du ressentiment et de la peur engendrés par le système impérialiste aztèque ; certes, il faudrait voir dans les cruautés des conquistadors nulle hypocrisie car ils étaient portés par leur foi chrétienne et le désir d’évangélisation ; certes, Cortés n’aurait pas souhaité détruire la fabuleuse Tenochtitlan et il aurait également déploré le sort du dernier tlatoani Cuauhtémoc, mort ignominieusement pendu. Certes, certes…………

"L'EMPIRE AZTEQUE, impérialisme militaire et terrorisme d'État"






Pour parler de ce livre de Paul Hosotte, L’Empire Aztèque, Impérialisme militaire et terrorisme d’État (Éditions Economica, Paris 2001), je commencerai par une critique publiée sur le site Amazon.fr par un certain Stéphane Pares et qui « campe » bien le sujet : « L'ouvrage de Paul Hosotte est terrifiant à plus d'un titre. Cette étude qui pourrait être assimilée à une banale histoire des Aztèques est en réalité bien plus que cela. S'appuyant sur de solides connaissances mêlant histoire, anthropologie, mythologie et psychologie, l'auteur révèle que la civilisation tombée sous les coups des conquistadors en 1521 s'apparentait à un véritable régime de terreur qu'il n'hésite pas à comparer aux systèmes totalitaires du XXe siècle. Fondé au XIVe siècle par Tlacaelel, souverain (sic)[1]1 doté d'un sombre génie, l'empire aztèque reposait sur un dispositif alliant la peur et la guerre afin de contrôler les populations dominées. Au centre de ce dispositif, la pratique du sacrifice humain devenue quotidienne et publique, justifiée par la croyance en une survie du Soleil nécessitant l'offrande de cœurs et de sang d'hommes. Si les descriptions de ce terrorisme d'État font frémir, l'ouvrage peut se lire également comme un véritable traité de sociologie politique sur le pouvoir et les moyens de le conserver. Une réflexion passionnante. » (Stéphane Pares sur le site Amazon.fr)
Je continuerai par la citation mise en exergue à la première page précédant l’introduction du livre de P. Hosotte et tirée du livre 1984 de George Orwell : « Comment un homme assure-t-il son pouvoir sur un autre ? En le faisant souffrir. Le pouvoir est d’infliger des souffrances et des humiliations. Dans ce monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. »
La référence à 1984 est excellente et la citation appropriée avec son cortège de « pouvoir, souffrance, humiliation, crainte, rage et triomphe » puisque P. Hosotte fait la description d’une véritable dystopie, mais non imaginaire, où l’on trouve tous les ingrédients du régime totalitaire : la réécriture de l’histoire, la guerre nécessaire et incessante, la terreur des vaincus par le sacrifice humain, l’adhésion de la société à l’idéologie par le contrôle de cette société, son endoctrinement, les interdits et la répression.
La cheville ouvrière de la conception, de la mise en œuvre et du développement de ce système impérialiste et terroriste aurait été, selon P. Hosotte, un seul homme extraordinaire : Tlacaelel cihuacoatl, littéralement « Serpent – Femme » c’est-à-dire conseiller suprême de quatre, voire cinq, souverains aztèques : Itzcoatl, Motecuhzoma, Axayacatl, Tizoc et sans doute Ahuitzol, sur plus de 60 ans.
Le livre nous montre comment par l’intelligence et l’influence de cet individu, à partir de la période où le peuple aztèque se dégage de la tutelle des Tépanèques d’Azcapotzalco et où la Triple Alliance se met en place, ce même peuple a su créer un empire puissant et structuré fondé « sur l’emploi systématique de la terreur comme instrument de domination. » (Extrait tiré de l’introduction page 4)
La première partie est consacrée à « L’histoire imaginée », le long et laborieux processus qui conduit la horde « misérable et loqueteuse » de l’île mythique d’Atlan jusqu’aux marécages du lac de la vallée centrale, la difficile gestation dans un environnement hostile entouré d’ennemis qui débouche par l’affirmation fière et belliqueuse du peuple élu qui se place sous la protection du « Colibri de la Gauche », dieu de la guerre, Huitzilopochtli : le désert purificateur (chapitre 1), le choc de la civilisation (chapitre 2), la Terre Promise (chapitre 3) et les Seigneurs des Roseaux (chapitre 4).
La deuxième partie est l’épine dorsale de l’étude puisqu’il s’agit de l’édification du régime totalitaire aztèque sous l’égide de Tlacaelel, le « Grand Architecte » (titre de cette partie) avec ses caractéristiques cités plus haut : la prise du pouvoir (chapitre 1), l’Histoire et le dogme au service du Pouvoir (chapitre 2), la Guerre (chapitre 3), le sacrifice humain (chapitre 4) et le Grand Architecte (chapitre 5).
Une troisième et dernière partie, intitulée « L’histoire idéologisée », décrit l’emprise hégémonique des adeptes du dieu Huitzilopochtli sur des centaines de cités, le prélèvement sans compter des ressources sur les nations vaincues et exsangues, les dépenses en monuments splendides, en fêtes fastueuses et en cérémonies sanglantes, la course sans fin à l’extension des terres soumises pour assurer le fonctionnement du système et les sacrifices toujours plus nombreux de victimes parfois innombrables « prétendument immolées afin d’assurer la survie du Soleil » (page 275) alors que le but premier serait de « tenir les populations sous le joug d’une terreur à peine imaginable » (page 267), pour finir un régime fragilisé par les propres éléments qui font sa grandeur et qui finira par se désagréger rapidement avec l’arrivée des Espagnols.
Voici donc dans cette troisième partie le règne de Motecuhzoma 1er (chapitre 1 : la Gloire de l’Empire) où s’affirme la puissance aztèque et se consolide sa légitimité par les campagnes guerrières s’achevant par des sacrifices de masse ; le règne d’Axayacatl, (chapitre 2 : la Première éclipse du Soleil), marqué par des guerres victorieuses et l’annexion de la ville jumelle de Tlatelolco mais également par une expédition désastreuse contre les Tarasques ; le règne de Tizoc (chapitre 3 : , le mauvais roi) souverain qui ne cherche pas suffisamment à combattre pour le bien, gloire, extension et richesse, de l’empire ; le règne d’Ahuitzol, règne passionné et passionnant de ce souverain cruel et fastueux, qui constituerait l’apothéose de Tlacaelel, alors très vieux cihuacoatl, (chapitre 4 : l’apothéose de Tlacaelel) et qui meurt peut être en 1498. Le chapitre 5 décrit l’apogée de l’empire sans Tlacaelel, sous Motecuhzoma Xocoyotzin (le Montezuma de Cortés), puis les signes annonciateurs de la chute, et le désastre final, en fait la Mort du Cinquième Soleil, titre de ce chapitre.
Un tel ouvrage appelle de nombreuses interrogations. Pour ma part, j’en retiens seulement quelques unes pour que le lecteur ne perde pas trop de temps et aille vite lire le livre.
Ainsi, il peut y avoir débat sur l’existence même de Tlacaelel puisque des historiens et écrivains des 16è et 17è siècles ne mentionnent pas le personnage et que l’historien franciscain Juan de Torquemada nie son existence. P. Hosotte n’écarte pas la question pour mieux démontrer dans le chapitre 1 « la prise du pouvoir » de la deuxième partie que « la réalité [de Tlacaelel] nous semble ne pouvoir faire aucun doute ».
Par ailleurs, son existence étant admise, se pose la question de « l’influence réelle de ce personnage clé de l’histoire du peuple aztèque ». Il ressort du livre qu’en définitive l’empire c’est lui : il règne en sous main, réécrit l’histoire, forge le dogme, façonne la société avec ses tabous, ses interdits, ses privilèges, étend la puissance aztèque sur le monde par les guerres et les sacrifices. Et cependant, il est difficile de dire que des souverains comme Motecuhzoma 1er, Axayacatl, ou Ahuitzol, étaient des personnes falotes et influençables dans les mains du cihuacoatl. En fait, même si la réponse est difficile à trouver dans la complexité et la subtilité des pouvoirs et des interrelations du tlahtoani (« celui qui parle » c’est-à-dire le souverain) et du cihuacoatl, on comprend bien qu'ont prévalu sur des décennies une extraordinaire confiance et complicité, une efficace complémentarité dans le partage des rôles dévolus aux deux principaux personnages de l’État aztèque, un subtil et intelligent équilibre dans la qualité du conseil et de l’écoute. Des rapports fascinants dont l’on trouve difficilement trace dans l’histoire (Suger et Louis VI ? Richelieu et Louis XIII ? C’est difficile de comparer en fait) et je citerai, pour terminer sur cette question, le chroniqueur Chimalpahin Quauhtlehuanitzin (1579-1660 ?).
« C’est pourquoi, moi, Don Domingo de San Antón Muñón Quauhtlehuanitzin, ici, je confirme, ainsi, la mort de la princesse Doña Marina, car je sais très bien qu’elle était l’une des descendantes, des rejetons, du noble lignage, dit-on, de celui d’âge avancé, qui fut le très redouté Cihuacoatl, Tlacayeleltzin l’Ancien, Grand Seigneur de Tenochtitlan, qui vient gouverner auprès d’eux, qui vint aider les cinq anciens Souverains de Tenochtitlan : Itzcohuatl, Moteuhçoma Ylhuicamina, Axayacatl, Tiçoc et Ahuitzotl ; il vint agir pour eux, il vint les aider dans tout ce qu’ils entreprenaient, le dit Commandant en chef, Capitaine général, le Cihuacoatl, Tlacayelel l’Ancien, comme il ressort de toutes les actions susdites, qu’il daigna accomplir, durant le règne des dits Souverains de Tenochtitlan. »[2]
Autre question : pourquoi l’étude a-t-elle laissé de côté, hormis quelques allusions, un trait essentiel du système d’exploitation et d’oppression de l’empire aztèque, à savoir le tribut et sa perception. On sait bien que l’éminent Jacques Soustelle, porté par son amour du monde aztèque, avait beaucoup minimisé l’importance du tribut, sur les plans tant matériel que moral, (voir les quelques pages qui y sont consacrées, pages 143 – 146, dans La vie quotidienne chez les Aztèques, Éditions Le Livre de Poche, Hachette, Paris 1955), mais plus de 50 ans après, on sait mieux combien le tribut a été conçu et organisé comme instrument de l’impérialisme et de sujétion de l’État aztèque. Sur ce point, en laissant de grandes études universitaires de côté, je me référerai de façon plus vulgaire à L’Atlas historique de la Méso-Amérique, dans le chapitre 7 consacré aux Aztèques (Edition originale publiée par Thalamus Publishing, Éditions Saint-André des Arts, Paris 2002), où, aux pages 168 et 169, il est montré de manière concise mais éclairante, que par le système du tribut, sur « les États assujettis, des menaces physiques et psychologiques assurent la loyauté ». Un chapitre sur ce point aurait bien été nécessaire et l’on regrette ici une « impasse » dans un livre que l’on conseille néanmoins.
Dernière question : on peut aussi se demander si le monde aztèque était à ce point déshumanisé, cruel et violent, que ce que décrit P. Hosotte. N’étant ni spécialiste, ni anthropologue, ni ethnologue, ni, ni, etc., je ne m’avancerai pas à répondre. Le rire, le chant, la danse, la poésie, les fêtes de familles ou de quartiers, l’humour, les jeux d’enfants, les jeux d’adultes, le goût du plaisir, l’art de bien faire, le goût de créer, le respect de l’autre, voire le respect de l’ennemi, etc., sont autant de traits humains qui ont pourtant également prévalu si l’on se fonde sur les témoignages, l’archéologie, les textes divers et variés, les études savantes…En définitive, j’espère ne pas chercher en vain quelques rayons lumineux dans ce monde du Cinquième Soleil, mais il est vrai que le terrifiant mais passionnant ouvrage de P . Hosotte porte bien son titre.

[1] Erreur étonnante puisque tout le livre s’échine à montrer que Tlacaelel ne fut jamais un souverain mais conseilla en revanche les souverains de Mexico.
[2] Extrait tiré page 175 du livre Anthologie Nahuatl, Témoignages littéraires du Mexique indigène, de Miguel León-Portilla et Birgitta Leander, Éditions L’Harmattan, Paris, 1996, et étant indiqué page 172 comme provenant du livre de Jacqueline de Durand-Forest, L’histoire de la vallée de Mexico selon Chimalpahin Cuauhtlehuanitzin, Éditions L’Harmattan, Paris, 1987)