samedi 11 février 2017

Lecture d'un dimanche soir....sur les "chants fleuris d'amitié", xochicuicatl

(lecture tirée du livre Poésie nahuatl d'amour et d'amitié, choix et paléographie par Georges Baudot et Miguel Leon-Portilla - Éditions Orphée / La Différence)

En ces journées d'hiver un peu glauques, avec la brume, le froid, la pollution, la grippe, etc. (!), je propose qu'on aille chercher un peu de bonne humeur, de raffinement et de beaux sentiments auprès du seigneur de Tezcoco, le prince Nezahualcoyotl, qui composa des xochicuicatl et xopancuicatl.
Voici la traduction d'une partie d'une poésie intitulée  "Je dresse mon tambourin."

Codex Mendoza -musicien chantant 
 Je dresse mon tambourin
Joueurs et danseurs - Codex de Florence
Je rassemble là mes amis
ils se réjouissent,
je les faits chanter !
Nous partirons ainsi, souvenez vous-en.
Soyez heureux maintenant,
oh ! mes amis !
(...) Mais ici, c'est la loi des fleurs, Mais ici, c'est la loi des chants,
      Ici, sur la terre !
                        Soyez heureux,
                        revêtez vos parures, oh ! mes amis ! 

jeudi 7 novembre 2013

LES FLEURS DE L'INTERIEUR DU CIEL (début du chant 9) - de PATRICK SAURIN







Pareils à des fleurs,
les chants sont nos vêtements,
ô mes amis,
avec lesquels nous venons vivre
sur terre,
ohuaya o
Ils sont vrais nos chants,
elles sont vraies nos fleurs,
les chants harmonieux et nouveaux.
Si vraiment ils sont
jade, or,
larges plumes de quetzal,
que je puisse venir les offrir
à l'Endroit des tambours, ici.
Est-ce que vraiment seulement s'effacera
notre mort sur terre ?
ha hui
Je suis le seul chanteur,
pour un seul moment en ce lieu,
ohuaya o
Nous nous réjouissons avec nos chants,
ay ooo haye
nous nous revêtons de fleurs ici.
Il le sait absolument notre cœur,
seulement nous partirons en laissant cela, oo huaye
c’est pour cela que je pleure,
que je m’afflige,
ohuaya o
ach iuhqui xochitl
yn cuicátl yn tonequimilol
i antocnihuá
yca ye tonimico
yn tlpc ca
ohuaya o
 y ye neli yehua ticuic
ye neli ye toxochioo
yectli yacuicatli
ytla nel
chalchihuitl yn teocuicatl
yn qtzali patlahuac
tla nocon o manili
huehuetitlan yenican
cuix neli çan polihuiz
yn tomiquiz yn tlpcqui
ha hui
nicuicanitla
yca hui ye yuhcan
ohuaya o
tocuicápacti
ay ooo haye
titoxochinquimilohua nican
neli mach in quimati toyolo
yehuá çá toconcauhtehua
oo huaye
yn cá ye nichoca
nicnotlamatiyz
ohuaya o

dimanche 3 novembre 2013

LES DEUX RIVES - LAS DOS ORILLAS DE CARLOS FUENTES

Les deux rives est une nouvelle extraite du recueil L'oranger de Carlos Fuentes, publié en 1993. Cette nouvelle est présentée sous forme bilingue, en espagnol et en français, par les Éditions Gallimard, Folio, 1995 et 2007, et est traduite de l'espagnol (Mexique), préfacée et annotée par Céline Zins.
Quatrième de couverture : " Jeronimo de Aguilar, l'un des Espagnols partis à la conquête du Mexique, découvre le Nouveau Monde sur l'autre rive de l'Atlantique et choisit de vivre parmi les Indiens. Il nous livre ici ses souvenirs par delà la mort.
Civilisation et sauvagerie, identité, loyauté, tels sont quelques-uns des thèmes abordés dans ce court texte par l'un des plus grands écrivains contemporains. "
Extrait tiré de la préface : " Les deux rives, celle de l'Europe et celle de l'Amérique, celle de l'Ancien Monde et celle du Nouveau Monde. Entre les deux, un homme a voulu servir de pont. Mieux - ou pis -, il a souhaité inverser les rôles. Entre les conquérants et les conquis. Cet homme, c'est Jeronimo de Aguilar, l'un des compagnon de Cortés, cité "cinquante-huit fois" par Bernal Diaz del Castillo, chroniqueur de la conquête du Mexique.
" Jeronimo de Aguilar est mort, et c'est du fond de la mort qu'il raconte, en dix épisodes comptés de 10 à 1, ses aventures au Mexique, plus un chapitre 0 qu'on laissera au lecteur la surprise de découvrir. (...) "
Extraits tirés du livre  : 
Premiers paragraphes du chapitre 10 : " J'ai tout vu. La chute de la grande cité aztèque, dans le fracas des timbales, le choc de l'acier contre le pavé et le feu des canons castillans. J'ai vu les eaux brûlées de la lagune sur laquelle était bâtie la Grande Tenochtitlan, deux fois plus vaste que Cordoue.
" Tombèrent les temples, les emblèmes, les trophées. Les dieux eux-mêmes s'effondrèrent. Et dès le lendemain de la défaite, avec les pierres des temples indiens, nous commençâmes à édifier les églises chrétiennes. "
Premiers paragraphes du chapitre 0 : " J'ai été témoin de tout cela. La chute de la grande cité andalouse, dans le vacarme des grelots, le choc de l'acier contre la pierre et le feu des lances-flamme mayas. J'ai vu les eaux brûlées du Guadalquivir et l'incendie de la Tour d'Or.
" De Cadix à Séville, les temples s'écroulèrent ; les enseignes, les tours les trophées. "

LA MORT DES DIEUX, RÉCIT DES TEMPS AZTEQUES (1325 - 1521) DE TRISTAN CHALON

Ce récit évoque la vie d'une famille à travers l'épopée tragique de la civilisation aztèque. Depuis la fondation de Mexico (1325) jusqu'à l'apocalypse de la conquête espagnole (1521), cette famille de guerriers, de prêtres, de juges connaît une évolution contrastée, faite de réussites et d'échecs, de gloire et d'oubli, de périodes de faveur et d'éclatantes disgrâces. Son évolution suit les transformations de la tribu errante et misérable des Aztèques en un peuple maître d'un brillant empire bâti pour l'éternité. Mais, soudain, un danger mortel menace cette civilisation étrange, si raffinée et si sombre, qui allie le goût du sang et l'atrocité des sacrifices humains avec l'épanouissement de tous les arts. En vain les Aztèques invoquent-ils alors les dieux : les dieux, hélas, ne répondent plus. (texte tiré de la quatrième de couverture)
Ce roman comprend 4 parties (Aux origines - L'alliance - L'expansion de l'empire - Le retour de Quetzalcoatl), subdivisées en 28 chapitres, et un épilogue (Le souvenir).
Le livre a été publié aux éditions L'Harmattan, 2011, - Roman historique. Son auteur est Tristan Chalon, diplômé de l'IEP de Paris, ancien élève de l'ENA, et auteur, notamment, de " Le lion de la tribu de Juda, ou un destin de femme dans l'Éthiopie ancienne", L'Harmattan 2008.

samedi 11 juin 2011

LA FILLE DE MONTEZUMA, UN ROMAN DE H. RIDER HAGGARD


"La fille de Montézuma" est la narration par Thomas Wingfield, un vieux gentilhomme campagnard de l'époque élisabéthaine, d'évènements qui se sont déroulés 60 ans auparavant et qui l'ont conduit depuis la campagne anglaise jusqu'aux rivages du monde aztèque dont il fut l'un des premiers blancs d'Occident à fouler le sable. C'est l'histoire d'une vengeance puisque le fil directeur de cette narration est la poursuite par le jeune T. Wingfield de l'assassin de sa mère, l'aristocrate sévillan Juan de Garcia, assassin qu'il retrouve périodiquement au milieu de péripéties et tragédies diverses et variées en Angleterre, en Espagne, sur l'Atlantique, à Mexico et dans les réduits de résistance indiens ; c'est aussi l'histoire de deux amours puisque T. Wingfield est épris de Lily Bozard, sa jeune voisine anglaise, mais il sera ensuite l'objet de la passion amoureuse de Otomie, la fille de Montézuma qu'il épousera et dont il s'éprendra en définitive, Otomie qui symbolise le monde indien refusant de se rendre à l'envahisseur et d'abandonner ses rites et croyances, et qui finira par se suicider, libérant ainsi Wingfield qui s'en retournera, plein d'usage et raison, vivre entre les bras de sa Lily, la belle anglaise, le reste de son âge ; c'est enfin l'histoire de la fin d'un monde, comme chacun l'aura deviné, puisque les amours de Otomie et de T. Wingfield ont pour toile de fond les années dramatiques marquées par l'arrivée des conquistadores, la chute de l'empire aztèque, la main mise militaire, économique, religieuse et sociale des Espagnols sur le monde indien. La première couverture est celle du livre paru en 1986, de la collection NEO PLUS N°3 (traduction de René Lecuyer et Richard D. Nolane) avec l'illustration de Jean-Michel Nicollet. Voici ce que dit la quatrième de couverture :
" Comment le jeune Thomas Wingfield aurait-il pu savoir que l'homme dont il venait d'épargner la vie était ce même Juan de Garcia qui, après avoir poursuivi sa mère de sa convoitise pour finalement l'assassiner, après avoir fait emprisonner et torturer son père, allait être la cause de toute une existence d'aventures et de dangers ? Lorsqu'il en prend conscience, il décide de venger sa mère et quitte sa terre natale à la poursuite du misérable. Passant d'abord par l'Espagne de Charles Quint, où il fait fortune, il finit par arriver dans le Nouveau Monde où, aux côtés des Aztèques, il participe activement à la défense de Tenochtitlán – le futur Mexico – et de la Cité des Pins. Car les Aztèques, après avoir failli l'immoler sur la pierre du sacrifice, l'honorent à l'égal d'un dieu, avant de lui donner pour épouse celle qui l'aime et qu'il finit par aimer lui aussi : la fille de Montézuma, le prestigieux empereur des Aztèques. Outre cette merveilleuse et haletante histoire d'amour et de vengeance, cette vaste fresque romanesque, fondée sur des données historiques rigoureuses, met en scène la fin terrible des Aztèques et de leur civilisation face à l'envahisseur espagnol Cortés, constituant un des plus parfaits romans d'aventures historiques de la littérature anglo-saxonne et l'un des plus passionnants.
Né en 1856 et mort en 1925, Sir Henry Rider Haggard, ami intime de Kipling, fut l'un des principaux représentants de l'âge d'or du roman d'aventures en Angleterre. Économiste, technicien des questions agricoles et juriste, il est d'abord pour nous un très grand romancier qui sut mêler dans tous ses romans, fantastique et aventure, ésotérisme et érotisme, pour constituer une œuvre impérissable dont une grande partie reste à traduire. Après le cycle de She complet, plusieurs volumes du cycle d'Allan Quatermain (dont Les mines du roi Salomon), nous avons publié ses deux autres romans sur les empires disparus d'Amérique Centrale : Cœur du Monde et La vierge du Soleil, ainsi que Le peuple du brouillard, L'esclave Reine, La nuit des Pharaons et un fabuleux roman historico-fantastique : Eve la Rouge. On peut lire d'autre part Le dieu jaune publié par Richard D. Nolane dans sa collection « Aventures fantastiques » chez Garancière. "
Le deuxième livre est de la collection Hachette, Idéal - Bibliothèque de 1954, avec l'illustration en couverture de Jean Sidobre, et en remontant le temps la dernière couverture est une édition de 1930,retrouvée dans une petite librairie, des Editions Jules Taillandier, Collection Voyages lointains - Aventures étranges. La traduction est également de René Lecuyer. Ce dernier livre a le charme désuet des années trente, d'autant que, si le nom de l'illustrateur n'est pas indiqué, ses illustrations attirent l'attention, ne serait-ce que parce que les Aztèques, princesse, chefs ou prêtres, etc., sont représentés comme des "peaux rouges" des plaines du Missouri (!), peut être sous l'influence de Tintin en Amérique.



dimanche 5 juin 2011

MOQUETZALIZQUIXOCHINTZETZELOA



Pour terminer sur une note positive ce dimanche soir qui vient clôre le long week end de l'Ascension (du moins pour ceux qui ont bénéficié du "pont"), je cite un extrait d'un chant qui parle de l'amitié, texte tiré des Cantares Mexicanos par Patrick Saurin qui l'a traduit et présenté page 95 de son livre des Editions José Corti (Paris 2009 - Collection Merveilleux n°19), intitulé Les Fleurs de l'Intérieur du Ciel.
Moquetzalizquixochintzetzeloa
in icniuhyotl
Aztacaxtlatlapa 'tica
ye on malinticac,
in quetzalxiloxochitl
ymapa'
on ne'nemi conchichichintinemih

in teteuctin in tepilhuana...
Tel le parfum des précieuses fleurs de maïs grillé se répand l'amitié, de blanches fleurs caxtlatlapan, elle vient tresser des guirlandes, de précieuses fleurs xiloxochitl elle s'est parée, ils vont et viennent en respirant leur parfum les seigneurs et les princes...

mercredi 1 juin 2011

UNE POÉSIE DE NEZAHUALCOYOTL



NEZAHUALCOYOTL (1402 - 1472), souverain de Texcoco, l'une des trois seigneuries de la Triple Alliance (avec Tenochtitlan et Tlacopan) qui domine le monde aztèque et alentours, est l'un des plus grands poètes connus de l'époque précolombienne. Dans la langue complexe et métaphorique qu'est le nahuatl, il a écrit de magnifiques poèmes, toujours publiés, lus et étudiés de nos jours. Lire à haute voix, en nahuatl et en français, une poésie de Nezahualcoyotl est un enchantement, qu'il s'agisse de ses chants de guerre, ses chants fleuris ou ses chants de tristesse, ainsi que l'on répartit généralement son oeuvre, ou de ses poèmes fondés selon trois interrogations majeures, Dieu, le destin de l'homme et la poésie, d'après la lecture proposée par certains. Nezahualcoyotl nous parle notamment de la fugacité de l'instant présent, de la précarité du destin humain, de l'inquiétude de l'être sur lui-même et sur le monde ; il exprime en même temps une angoissante interrogation sur "l'après" et l'au-delà et ses doutes sur la force divine. J'ai extrait ici d'un poème intitulé "L'Arbre fleuri", In Xochicuahuitl, un passage extrêmement connu et très souvent cité, avec diverses traductions qui révèlent la difficulté de traduire le nahuatl en général, et Nezahualcoyotl en particulier. Ainsi que le disait si bien J.M.G. Le Clézio dans Le rêve mexicain (Gallimard, Folio Essais, page 151) en parlant de cet extrait : "[Mais] au-delà de la fête du chant et des dieux, vient à nous une mélodie pleine de mélancolie et de vérité, et c'est elle que nous ne cessons pas d'entendre, la parole précieuse du doute."



CUIX OC NELLI NEMOHUA O A IN TLALTICPAC ? IHUI OHUAYE !

ANNOCHIPA TLALTICPAC ! ZAN ACHICA YE NICAN !

TEL CA CHALCHIHUITL NO XAMANI,

NO TEOCUICATL IN TLAPANI,

NO QUETZALLI POZTEQUI !

ANNOCHIPA TLALTICPAC ! ZAN ACHICA YE NICAN !


La Légende des Soleils, traduit du nahuatl par Jean Rose (Anacharsis Editions , Toulouse 2007) Citation avant l'introduction

Vivons-nous réellement sur cette terre ? Hélas! Un bref instant sur cette terre ! Un instant seulement ici ! Même le jade se brise, Même l'or se rompt, Même les belles plumes se flétrissent ! Un bref instant sur cette terre ! Un instant seulement ici !

Nezahualcoyotl, Sur cette terre, à nous prêtée..., traduit du nahuatl et présenté par Pascal Coumes et Claude Caër (Editions Arfuyen, Paris- Orbey 2010) page 83

Est-ce vraiment vivre que de vivre ici sur la terre ? Non pas pour toujours ici sur la terre, Mais seulement pour un bref instant. Même les jades se brisent, Même les ors se fendent, Même les plumes de quetzal se cassent. Non pas pour toujours ici sur la terre, Mais seulement pour un bref instant.

Anthologie Nahuatl, Témoignages littéraires du Mexique indigène, Miguel Leon-Portilla et Birgitta Leander (Editions Unesco / L'Harmattan, Paris 1996) page 54

Même le jade se brise, et même l'or s'altère. Même les plumes de quetzal se ternissent : la vie n'est pas sans fin sur terre, nous sommes ici pour un bref instant !

Antiguos Poetas Mesoamericanos, traducido y compilado por John Curl (site internet FAMSI) Los cantos de flor de Coyote Hambriento (Cantares Mexicanos) In Xochinquahuitl - The flower tree

Not forever on earth, only a brief time here ! Even jades fracture, even gold ruptures, even quetzal plumes tear : not forever on earth, only a brief time here ! Ohuaya, ohuaya.

mercredi 25 mai 2011

(2) LA DESTRUCTION DES INDES de BARTOLOMÉ de LAS CASAS (2ème partie)


Le texte des Editions Chandeigne (Paris, juin 1995, 2è édition révisée, septembre 2000) correspond à la réédition par Guillaume Julien, à Paris, en 1582, de la traduction française de Jacques de Miggrode. Cette traduction avait été éditée une première fois à Anvers en 1579 pour informer les Provinces Unies des Pays Bas de la cruauté des Espagnols et dénoncer les atrocités commises par eux dans les terres qu'ils colonisaient. Le texte des Editions Chandeigne est illustré des reproductions des gravures de cuivre de Théodore de Bry, parues en 1598 dans une édition latine en Allemagne. Ces images représentent presque toujours des actions violentes des Espagnols, tortures, massacres, supplices, etc., et sont placées à des endroits correspondant bien aux descriptions de la narration. Par conséquent, c'est une présentation dirigée sous forme de propagande anti-espagnole, de la fin du 16è siècle, qui est offerte au lecteur, le texte restant bien entendu celui écrit par Las Casas dans un but qui, lui, n'était pas politique, ni dirigé contre son propre pays.
La relation est précédée d'une très intéressante introduction (de 70 pages sur les 251 du livre) de Alain Milhou qui retrace clairement, entre autres, les étapes de la conquête et de la colonisation espagnoles, l'état d'esprit et la philosophie de Las Casas, ainsi que "le courant minoritaire, mais actif, de défense des indigènes" dans lequel il s'inscrivait. La relation est suivie d'une non moins très intéressante analyse iconographique de Jean-Paul Duviols, dont le titre est Le miroir de la tyrannie espagnole. Dans cette dernière partie, J.P. Duviols explique le but recherché de l'illustrateur, retrace l'histoire des gravures avant de reprendre chaque image pour l'analyser.
La relation elle-même présente les Indiens comme "des gens très simples, ..., sans malice, très obéissants et très fidèles,..., fort humbles, forts patients, très pacifiques et paisibles, ...", bref "des agneaux tant doux" face aux Espagnols "entrés comme des loups, des lions et des tigres très cruels de longtemps affamés". Elle décrit le processus de destruction en reprenant une par une les régions conquises (Hispaniola, Cuba, la Terre Ferme,le Nicaragua, la Nouvelle Espagne, le Guatamala, etc, jusqu'à La Plata, le Pérou, le Nouveau royaume de Grenade), et en reportant des témoignages des cruautés et exactions et présentant les systèmes d'exploitation. Beaucoup de chiffres sont donnés pour insister sur l'importance des pertes démographiques et du dépeuplement.
Les Aztèques et les peuples alentours apparaissent aux parties VII et VIII de l'ouvrage, intitulées respectivement De la Nouvelle Espagne et De la Nouvelle Espagne en particulier. Les termes et formules employés mettent dramatiquement en évidence l'importance du désastre humanitaire : rien qu'à la page 135, Las Casas parle de grands désordres et tueries, d'injustice, de violence et de tyrannies, de déconfitures, cruautés, tueries, dégâts, destructions de villes, pilleries, de choses les plus graves et les plus abominables, d'actes diaboliques, ....Plus de quatre millions d'âmes auraient été tuées par le fer et le feu entre le 18 avril 1518 et 1530, "en 450 lieues de pays quasi à l'entour de Mexico". Et de préciser que ne sont pas comptabilisés tous ceux qui sont tués "tous les jours dans la servitude et l'oppression ordinaire". Parmi les grands massacres, Las Casas en décrit deux bien connus : d'abord, celui de Cholula (plus de 3 000 tués) , sur la route de Mexico empruntée par Cortés après s'être rallié les Tlaxcaltèques, ennemis des Aztèques et des Cholultèques ; ensuite, la tuerie de l'enceinte du Grand Temple à Tenochtitlan (plusieurs milliers de victimes) durant la fête de Toxcal, alors que Cortés, absent de la ville, s'était fait remplacer par Pedro de Alvarado. Las Casa fait aussi rapidement référence au siège de Mexico en 1521 et de "l'horrible et épouvantable boucherie des Indiens". Il met également en évidence le raisonnement simpliste, mais pervers et cynique des conquérants, uniquement animés par l'ambition et "l'avarice diabolique" pour commettre ces "tueries et cruautés" : ces Indiens se doivent d'obéir au roi d'Espagne, même s'ils ne l'ont jamais vu, ni n'en n'ont jamais entendu parler ; ceux qui se soumettent sont mis en servitude, ceux qui ne se mettent pas dans leurs mains sont appelés des rebelles au roi, et tués ou mis en esclavage comme il se doit.
L'ensemble du pamphlet est de la même veine et l'on comprend qu'il ait pu susciter de violentes polémiques à l'époque...et bien après, tant il décrivait des Espagnols cupides, cyniques, féroces. A notre époque, nos contemporains occidentaux ont plutôt tendances à s'enthousiasmer pour ce réquisitoire, avec quelques nuances quelquefois. Sur la quatrième de couverture de la traduction traduite par Franchita Gonzalez Batlle parue aux Editions La Découverte (Paris, mai 2004), on peut lire que " Las Casas reste dans l'histoire de l'Amérique comme le premier défenseur des Indiens opprimés. Et son oeuvre demeure un document unique, une source de première main, un réquisitoire parfois insoutenable." Et de citer Télérama : " Ce petit livre-là vous plante définitivement une épine dans le coeur. Avec quatre siècles d'avance, un rapport d'Amesty International : même ton précis, même souci d'accumuler détails et exemples." Et de citer également L'Express : " Texte court et foudroyant où ce dominicain dénonce l'holocauste perpétué au nom du Christ et de l'or, et témoigne le premier de la dignité du "sauvage". " Sur la quatrième de couverture d'une autre traduction de Jacques de Miggrode, parue aux Editions 1001 Nuits (Paris, octobre 1999), on peut lire que le texte de Las Casas peut être considéré " comme le texte fondateur de l'anticolonialisme ". Les propos sont parfois plus nuancés, ainsi dans l'article de Wikipédia dédié à la Brévisima relacion de la destruccion de las Indias, il est écrit que "l'oeuvre de Las Casa se veut polémique, ses récits contiennent de nombreuses exagérations et présentent les évènements historiques sous l'angle souvent manichéen." Et le dictionnaire des noms propres du Petit Robert indique pour sa part (Editions 1994 - 1995) que " l'ouvrage, qui manque de nuances et contient des inexactitudes, est cependant d'une grande générosité. "
Je terminerai en revenant au livre des Editions Chandeigne, pour laisser les derniers mots à Alain Milhou et citer un petit passage de l'introduction, page 10 :
" Il ne faut pas lire la Destruction des Indes comme un rapport d'Amnesty International. Ce n'est pas un simple catalogue d'atteintes aux droits de l'homme, et c'est même beaucoup plus qu'un pamphlet. C'est un texte qui s'appuie sur une théologie rigoureuse du droit naturel, issu de saint Thomas d'Aquin. Mais c'est aussi un dénonciation prophétique des persécutions subies par une Eglise potentielle dont les membres sont les Indiens, baptisés et non-baptisés. Las Casas voit en eux l'image du Christ flagellé, comme le suggère le détail de la gravure de De Bry figurant en couverture (...) ".
Lecteurs, à vos livres !

dimanche 22 mai 2011

(1) LA DESTRUCTION DES INDES de BARTOLOMÉ de LAS CASAS (1ère partie)



Je me m'étendrai pas ici sur la vie de Bartolomé de Las Casas (BdLC par la suite) ; il est trop connu et face à cette grande figure de l'humanité, je ne m'imagine pas la réduire en quelques lignes. Rien que sur le site Wikipédia, sa biographie représente une dizaine de pages imprimées. Je rappellerai juste que cet Espagnol est né à Séville en 1470, ou vers 1474, ou vers 1484 ou 1485 (cela dépend des sources) et qu'il meurt assurément en 1556. Entre ces repères chronologiques, c'est une vie "é - norme" : une prodigieuse capacité à s'indigner, à réagir et à chercher des remèdes ; des certitudes inébranlables et des engagements profonds ; des actions magnifiques, une œuvre considérable et tumultueuse, des combats infatigables et pacifiques ; un courage qu'on ne peut imaginer. Mais tout cela ne constitue que des mots alignés, j'en suis conscient, par rapport à la majesté et la grandiose "densité" du personnage. Pour faire très très bref, ce fils et neveu de compagnons de C. Colomb (deuxième voyage), débarque en 1502 dans le Nouveau Monde, participe d'abord à son exploitation en s'occupant d'une encomienda, une colonie agricole, sur l'île d'Hipaniola (île de Saint-Domingue et d'Haïti), puis se tourne vers la prêtrise. Révolté par la condition des indigènes, BdLC devient le défenseur des Indiens, propose des réformes économiques et sociales pour sauvegarder leurs vies, entre dans l'ordre des Dominicains, débat, controverse, se défend et critique sans cesse, et en définitive parvient à atteindre les plus hautes autorités espagnoles. En 1542, il présente à l'empereur Charles Quint le résumé (ou une ébauche) de la Brevisima relacion de la destruccion de las Indias dans laquelle il décrit les cruautés des Espagnols et les souffrances subies par les Indiens. En dépit des furieuses polémiques déclenchées par ce réquisitoire, le Pouvoir indigné prend de nouvelles lois visant à protéger les Indiens, lois qui seront assez rapidement abrogées en raison des violentes réactions dans le Nouveau Monde. BdLC rédige ensuite son ouvrage majeur "L'Histoire des Indes" (Historia de las Indias) et un ouvrage moral sur les vertus des Indiens "L'Histoire apologétique" (Apologética Historia de las Indias) ; parallèlement, il continue à débattre, à écrire, à influencer les missionnaires, à justifier sa cause, à critiquer les colons, à dénoncer les pillages et les cruautés de toutes sortes. Il fut évidemment un homme attaqué, menacé, moqué, controversé, une partie de son oeuvre fut interdite, mais jamais il ne cessa son combat. Il le fera jusque dans son testament, en 1564, avant de mourir en 1566 (à Madrid).

Il existe plusieurs livres présentant une traduction de la "Très brève relation de la destruction des Indes". Je citerai notamment le texte adapté par Jérôme Vérain dans La Petite Collection, aux Editions 1001 Nuits (Paris 1999) ou le texte traduit par Franchita Gonzales Batlle aux Editions La Découverte, collection La Découverte poche (Paris 2004). J'ai choisi de mettre en avant La Destruction des Indes (1552) des Editions Chandeigne (Paris 1995, révision en 2000) mais, pour ne point discriminer les livres cités, j'ai placé à côté de la une en couverture jaune des Editions Chandeigne, la une du livre des Editions La Découverte et celle du livre des Editions 1001 Nuits. Et j'y ai ajouté une représentation laudative de BdLC sous forme d'un timbre mexicain de 1933 (d'une valeur actuelle de... 0,30 € d'après le catalogue 2008 des Editions philatéliques Yvert & Tellier, sit transit gloria mundi).

La suite à lire dans la 2ème partie.

mardi 17 mai 2011

LA SORCIERE ET LE CONQUISTADOR, UN ROMAN DE DIDIER GROSJEAN ET CLAUDINE ROLAND

Résumé sur le dos du livre : "15 février 1519 : l'empereur aztèque Moctezuma apprend que des hommes blancs viennent d'aborder la côte mexicaine sur des "montagnes flottantes". Cortés et ses guerriers viennent conquérir son empire. Le jeune Aztèque Tlacotzin assiste à la tragique et sanglante épopée qui mène les Espagnols de Vera Cruz à Tenochtitlan-Mexico. Déchiré entre son amour pour son peuple et sa soeur, la belle et inquiétante Malintzin, Tlacotzin vivra jusqu'au bout la tragédie des siens. Cortés est-il, comme le croit Moctezuma, la réincarnation de Quetzacoatl, le dieu blanc qui doit revenir de l'au-delà des mers ?"


La collection de chez Hatier, "histoires d'Histoire", nous offre un roman historique sur le "temps des Aztèques", qui met en scène les principaux protagonistes de la geste tant décrite de la conquête du Mexique, à savoir le conquistador Cortés lui-même et le souverain aztèque Moctezuma, ainsi que l'indienne interprète pour les Espagnols et leur agent de renseignements, dénommée Malintzin (c'est la sorcière du livre) ou autrement appelée Marina pour les Espagnols. Le héros principal, témoin essentiel des évènements, est le demi-frère de Malintzin, Tlacotzin. Autour de celui-ci gravitent divers personnages secondaires indiens et espagnols, tels Atototl (Oiseau d'Eau) servante et amie, Bouclier Fumant, son protecteur, guerrier de haut rang (il est Chevalier-Aigle), Roseau-qui-parle le pochteca, c'est-à-dire le marchand, qui sert d'agent de liaison et d'espion pour le compte des Aztèques, Orteguilla, le jeune page de Cortés, ami inséparable de Tlacotzin, Bernal Diaz, le soldat espagnol qui l'a fait prisonnier lors d'une première rencontre entre les indiens et la troupe de Cortés......


Ce roman historique, plus roman qu'historique comme il se doit, permet de présenter des traits intéressants de la vie quotidienne et sociale des Aztèques, dans un village, dans une famille , dans la capitale, parmi les marchands, ou à la cour du souverain.


Ce roman présente également en toile de fond beaucoup des caractéristiques de la geste de la conquête quant aux évènements et aux comportements des principaux acteurs. On répertorie ainsi de façon bien décrite : la surprenante confrontation des deux mondes, avec l'arrivée des Espagnols chez les Mayas, puis chez les Totonaques soumis aux Aztèques ; la rapide compréhension de Cortés de la donne politique et mystico-religieuse aztèque et des atouts qu'il peut en tirer ; l'attrait irrésistible de l'or comme motivation première de la conquête ; l'épopée de Cortés de la côte du golfe du Mexique à Mexico avec la mise au pas des principaux ennemis des Aztèques, les Tlacaltèques qui deviennent ses alliés ; les scrupules religieux et les atermoiments de Moctezuma et ses vains procédés pour dissuader les Espagnols de poursuivre leur route ; les pressions de l'entourage du souverain pour s'opposer fermement aux conquistadores ; la rencontre des deux chefs et les évènements de Tenochtitlan jusqu'à la Noche Triste du 30 juin 1520 au cours de laquelle les Espagnols fuient la ville.


L'épilogue se situe bien des mois après, et l'on comprend que Mexico est tombée, les dieux sont partis, les baptêmes forcés ont remplacés les sacrifices humains.


Dans la tourmente évoluent des couples plus ou moins ambivalents, essentiellement Tlacotzin et sa soeur Malintzin, Malintzin et son amant Cortés, Cortés et Moctezuma...


La pierre angulaire de ce roman, en dépit de l'apparent fil directeur constitué des multiples va et vient géographiques et des états d'âmes du sympathique et parfois pathétique Tlacotzin, c'est la rancune tenace, la volonté de vengeance, l'ambition formidable de Malintzin, "la petite fille mal aimée de Jaltipan", sa ville d'origine où on la traitait de sorcière et son père gouverneur, sous l'influence de sa seconde épouse, voulut s'en débarrasser pour l'enfermer dans un temple de la capitale. Elle contribue avec force à la disparition de son monde indien, d'où elle s'est sentie rejetée, en révélant les croyances mythologiques et les peurs mystiques du souverain aztèque, choisissant tout de suite son camp, le camp de celui qui sera son amant Cortés et dont elle sera l'interprète, chacun se servant de l'autre (avec amour) et puisant réciproquement dans la force de l'autre pour réaliser ses objectifs. Elle trahit sur tous les plans avec conviction la sorcière, "cela me plaît de te voir devenir chrétien, dit-elle à son frère. Si tu veux être un bon petit traître, commence par trahir tes propres dieux !"..."Mexico sera détruite, les dieux qui m'avaient condamnée depuis ma naissance s'enfuiront de ce pays." prédit-elle plus loin. Mais cette femme désespérée le restera après la destruction qu'elle a voulue, quand "le dieu du vent du nord et des ténèbres, protecteur des sorciers, en disparaissant la laissera seule et sans force", rejetée même par Cortés.


Et pour finir, échappant à tous les combats, massacres et autres catastrophes, c'est Tlacotzin qui, souriant et d'un pas vif, s'en retourne restaurer sa ville de Jaltipan.


Au total, un livre plein d'enseignements pour les jeunes et ceux qui ignorent tout de la conquête du Mexique et du monde des Aztèques, un peu simpliste dans les dialogues et l'expression des sentiments, mais bien agréable à lire pour tous, d'autant qu'en définitive la plupart de nos personnages sont attachants.


A noter également les illustrations de François Davot, notamment, pour reprendre l'observation d'un blogueur sur les peuples du soleil, un beau dessin de sacrifice humain en haut d'un temple, page 159 du livre,;-) !